Le Devoir, Montréal, le 4 février 2003

Vers une guerre en Irak.

La puissance impériale et la nouvelle croisade

Jean-Marc Léger, Journaliste

« Un prince ne doit avoir autre objet ni autre pensée ni prendre autre matière à cœur que le fait de la guerre et l'organisation et discipline militaires car c'est le seul art qui appartienne à ceux qui commandent ». - Machiavel

Qui pouvait encore douter de la détermination du président Bush dans son dessein d'éliminer Saddam Hussein par la force aura vu se dissiper ses dernières illusions lors du discours sur l'état de l'Union le 28 janvier dernier. En fait, le président des États-Unis a rêvé dès le début de son mandat d'achever le travail entrepris par son père en 1991 et a transformé ce vœu en intention ferme au lendemain des événements de l'automne 2001. Ce fut l'invention de « l'axe du Mal » (Corée du Nord, Iran, Irak), avec une prédilection particulière, si l'on peut dire, pour le maître de Bagdad. Bush aura donc « sa » guerre, sauf obstacle imprévu, fin février ou début mars, autant que l'on peut en juger aujourd'hui.

Même si le délai dérisoire (trois semaines) accordé aux inspecteurs de l'ONU fin janvier devait être suivi d'un autre de même espèce, ce qui est improbable, la guerre paraît inévitable tant Washington est résolu à la mener, à la gagner quel que soit le prix, seul au besoin mais en fait avec plusieurs alliés en définitive, le Royaume-Uni bien sûr qui l'accompagne depuis le début du projet de croisade, plusieurs petits pays du Golfe et de la région du Moyen-Orient et même plusieurs pays européens, sans doute l'Espagne, l'Italie et d'autres. Ceux-ci, au nombre de huit, l'ont d'ailleurs confirmé dans une déclaration collective retentissante le 30 janvier.

On estime prudent de faire sa cour à la super-puissance pour de multiples raisons d'ordre politique mais aussi pour des motifs d'ordre économique car la carte de la région va être redessinée pour longtemps et sur tous les plans.


La Pax americana

Il n'y a pas lieu d'évoquer encore une fois les causes multiples d'une crise qui, en fait, n'a point cessé depuis les années 1990 et a fait l'objet depuis un an environ de centaines d'analyses et de commentaires aussi savants que -- souvent -- contradictoires. Il importe plutôt de souligner la nouvelle illustration de la domination mondiale des États-Unis, unique super-puissance depuis l'effondrement de l'Union soviétique visiblement décidée à imposer sa loi dans toutes les parties du monde et sur toutes les questions importantes.

Elle le fait avec la tranquille assurance qu'impliquent ou qu'autorisent la conviction d'être moralement et politiquement exemplaire, la certitude de la primauté économique, technologique et militaire, et le sentiment d'être chargée par le Très Haut d'une mission de guide et de protecteur du monde. Le président Bush exprime parfaitement cette vision du monde et du rôle des États-Unis dans le monde, investis d'une sorte de croisade permanente et logiquement bénéficiaires, en retour, des résultats et des fruits divers de cette difficile mais exaltante mission !

Domination sur tous les plans

Dès lors, Washington ne saurait accepter d'être une puissance parmi les autres, fût-ce la première, ni d'être contraint de rechercher, de solliciter l'aval de l'Organisation des Nations unies. Il y consent lorsque cela lui apparaît politiquement souhaitable et qu'il est pratiquement assuré d'un résultat conforme à ses vœux et à ses positions. Autrement, il agira seul ou plutôt il décidera seul, sachant bien qu'au moment de l'action, il trouvera aisément plusieurs États disposés à l'accompagner.

Il y a désormais deux catégories de pays : les États-Unis et tous les autres. C'est la nouvelle vision impériale, la nouvelle logique impériale, de même que la langue anglaise, en fait anglo-américaine, doit être la seule langue internationale dans tous les secteurs de l'activité humaine. On veut bien applaudir aux déclarations qui célèbrent la diversité des cultures puisque, dans les faits, cela ne change rien à la domination croissante des industries culturelles américaines et à la suprématie de l'anglais.

D'aucuns parlent d'un « nouvel Empire romain » mais celui-ci n'était qu'un bien pâle prélude de l'empire américain, auquel les moyens contemporains d'information et de communication permettent la conquête des esprits et des âmes.

J'admire que des diplomates et des commentateurs continuent de parler sans rire de la position de « la communauté internationale » ou du devoir de chaque État de se conformer à « la légalité internationale ». La nouvelle crise irakienne aura confirmé que la légalité internationale est un concept flou, à géométrie variable, que les divers États, notamment les plus grands, interprètent comme ils l'entendent, selon leurs intérêts ou leurs ambitions du moment, de même que nombre d'entre eux ont leur propre lecture des résolutions du Conseil de sécurité, considérant que certaines sont contraignantes et d'autres simplement incitatives. Et parmi les États dit « voyous », certains bénéficient d'une sorte d'indulgence qui est catégoriquement refusée à d'autres.

Les alliés devenus vassaux

Alors que sont en cours les derniers préparatifs de l'invasion de l'Irak à laquelle s'associeront, de gré ou de force, une bonne vingtaine de pays, voire une trentaine, animés par les sentiments et les intérêts les plus variés, il est difficile de ne pas saluer l'habileté manœuvrière et la duplicité des États-Unis. Sous couvert de défense de la démocratie, de la sécurité, des droits de l'homme, ils se préparent à instaurer une sorte de vaste protectorat non seulement sur l'Irak, mais sur toute la région, et, dans le même temps, à établir ou plutôt à étendre et à affermir leur emprise sur les immenses ressources pétrolières du Moyen-Orient.

En fait, Washington a adressé au reste du monde, et en particulier aux autres pays occidentaux, une leçon de realpolitik. Certains parleront, non sans raison, de cynisme - mais comment en refuser le droit à la nouvelle puissance impériale ? On ne saurait lui appliquer la règle commune. Au reste, certains de ses défenseurs tiendront non sans raison que plutôt que de cynisme, c'est de machiavélisme qu'il convient de parler, au sens juste du terme : disons peut-être une sorte de mélange inconscient des deux.

Il est certain en tout cas que la façon dont la nouvelle crise irakienne aura été traitée et résolue confirme que le monde est entré dans une ère radicalement nouvelle en matière de relations internationales. Et les alliés des États-Unis seront désormais de fait des vassaux. Il seront nombreux à se disputer cette qualité.

Sans doute, l'obligation de susciter un nouvel Irak - démocratique - et de redessiner la carte de la région ne sera point tâche aisée : on peut souhaiter aux Américains bien du plaisir !

Fin
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Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 06 avril 2003 15:04
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue