Le Devoir, Édition du samedi 8 et du dimanche 9 février 2003, Éditorial

La frappe de Bush


Serge Truffaut

Mots clés : Irak (pays), États-Unis (pays), George Bush, Corée du Nord, frappe.

Lorsque le président Bush et certains des mauvais génies qui l'entourent se sont installés à la Maison-Blanche, ils ont modelé tous les discours consacrés aux affaires du monde en fonction du principe suivant: les États-Unis sont une puissance « morale ». La logique induite par cette certitude, par cette division du monde entre le bien et le mal, a débouché sur l'adoption de la doctrine de la frappe préventive. Celle-ci a eu son premier effet boomerang: la Corée du Nord.


À deux reprises au cours des derniers jours, les staliniens qui dirigent la Corée du Nord ont menacé les États-Unis d'une frappe préventive. Si ces derniers ne commandent pas un arrêt au déploiement de leurs forces dans la région, alors toute la péninsule coréenne, assurent les autorités coréennes, sera transformée en « une terre de cendres ». La seule manière d'éviter cela, selon les Nord-Coréens, serait que l'administration Bush accepte de s'asseoir à la table de négociations à la condition que tout cela se fasse en dehors du cadre des Nations unies.

Dans cette histoire, il y a une double ironie. Sur deux plans, les Coréens -- qui, soit dit en passant, se sont dotés d'une armée autrement plus puissante que celle de Saddam Hussein -- ont imité les gestes faits par l'administration Bush dans le cadre du dossier irakien. Militairement, ils évoquent la frappe préventive. Diplomatiquement, ils regardent de haut les Nations unies. Plus globalement, ils fournissent l'exemple de ce dont le monde sera vraisemblablement fait demain. À moins qu'on accorde préséance à une résolution multilatérale des conflits, la logique du bien et du mal dans laquelle l'administration Bush est engoncée ne peut que se solder par une multiplication des guerres... préventives !

Pour justifier le bien-fondé de la frappe préventive et afin d'en convaincre tous les sceptiques de la Terre, l'administration Bush a fait valoir qu'en la matière, le paradigme a changé. Il est vrai que l'emploi d'armes chimiques ou biotechnologiques contre des civils, que les attentats du 11 septembre 2001, que le régime de Saddam Hussein et celui de la Corée du Nord, que tout cela, donc, est odieux et doit être combattu. Mais de là à vouloir faire la guerre par prévention, il y a un pas qui a été franchi et qui ne peut que nous mener sur les rivages du chaos. Cette conception que Bush et le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, défendent bec et ongles jour après jour s'avère d'ores et déjà une caution aux pires exactions commises ici et là dans le monde.

À cet égard, on se rappellera que c'est au nom de la prévention que la Russie a menacé la Géorgie. Que c'est au nom de ce principe qu'elle poursuit son pilonnage de la Tchétchénie. Que ce principe est un cadeau à la Chine, qui maintient son occupation du Tibet. Que ce principe, demain, pourra être le point d'appui privilégié de l'Inde ou du Pakistan, qui possèdent tous deux de quoi faire éclater la planète. Et qui sait si l'Afrique du Sud ne reviendra pas sur sa décision d'enterrer son programme d'armes nucléaires ?

Dans un long article paru dans la revue américaine Current History, trois experts en la matière affirment et expliquent que la doctrine de la frappe préventive a ceci d'extrêmement dangereux qu'elle ne peut que favoriser une précipitation du conflit qu'elle prétend résoudre. Elle a également ceci d'effroyable qu'elle va encourager les États voyous à refiler des armes aux groupes terroristes. Pire, selon ces universitaires, la doctrine choisie par Bush fait passer l'usage de la force du dernier au premier rang des recours disponibles.

La défense soutenue de cette doctrine par Bush et Rumsfeld a ceci de dangereux qu'elle va favoriser le repli sur soi. Tout cela relève d'une mentalité d'assiégé et non du droit.

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Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 06 avril 2003 15:09
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue