Le Devoir, Édition du samedi 15 et du dimanche 16 février 2003, Chronique

Un crime contre l'humanité

Gil Courtemanche, journaliste

Mots clés : Irak (pays), Forces armées, guerre

Cette guerre, qu'elle se fasse avec ou sans l'approbation des Nations unies, constituera un crime contre l'humanité. Je ne suis pas pacifiste, et, en d'autres temps, j'aurais été dans le camp de ceux qui voulaient attaquer Hitler. Cependant, sauf pour les imbéciles et les manipulateurs de l'opinion publique que sont devenus les gouvernements américain et britannique, Saddam Hussein n'est pas Hitler et ne menace pas la «stabilité» mondiale. C'est la guerre que la droite américaine hystérique veut nous imposer à tout prix qui menace le monde et qui pourrait provoquer les pires distorsions, dont un accroissement dramatique du terrorisme et la conviction profonde qu'alimente Oussama ben Laden selon laquelle l'Occident a décrété une croisade contre l'Islam.

Soyons sérieux et cessons de prendre des vessies pour des lanternes. Saddam Hussein ne menace que les Irakiens. Son armée, qu'on a faussement décrite comme la quatrième puissance militaire du monde à l'aube de la guerre de 1991, n'existe pour ainsi dire plus. Son aviation a été presque entièrement détruite. Ses missiles, même s'il triche un peu sur leur portée, ne menacent surtout pas les États-Unis, qui insistent sur l'autodéfense pour justifier leur intervention. Jeudi, Bush, sourire aux lèvres, a déclaré devant des marins enthousiastes : « Le terrorisme nous a attaqués. Nous attaquons maintenant le terrorisme.»

Allons-nous tuer des milliers d'Irakiens parce que les États-Unis font face à un ennemi, al-Qaïda, qu'ils ne parviennent pas à circonscrire, ainsi qu'à une sorte de fantôme, Oussama ben Laden, qui les nargue et les humilie par son obstination à exister ? Car c'est bien ce dont il s'agit : tuer des milliers d'innocents.

Tuer des milliers d'innocents parce que Saddam Hussein a déjà utilisé des armes chimiques contre son peuple ? Ces armes chimiques lui ont été fournies par l'Occident dans sa volonté de contrer l'Iran. Tuer des milliers d'innocents parce qu'un groupe vaguement affilié à Oussama ben Laden, actif dans une partie de l'Irak que Saddam ne contrôle pas, est capable de produire du ricin, un produit mortel ? C'est ce que ce pauvre Colin Powell, dépourvu d'arguments, a souligné devant un comité sénatorial cette semaine pour prouver que l'Irak et l'insaisissable terroriste sont de mèche. Quand on lui a rappelé que les services secrets britanniques qui ont arrêté des suspects en possession de cette arme chimique étaient convaincus que le ricin avait été fabriqué localement, le faire-part de Bush a rétorqué que ces terroristes avaient utilisé les connaissances scientifiques d'al-Qaïda. Il aurait pu ajouter qu'on peut trouver la formule du ricin sur Internet et que la BBC note sur son site que n'importe qui peut produire cet agent toxique à la maison.

Tuer des milliers d'innocents parce que, toujours selon Powell, l'appel d'Oussama ben Laden à la défense de l'Irak par les musulmans constitue une preuve de son «partenariat» avec Saddam même s'il traite celui-ci d'infidèle et de communiste ?

Tuer des milliers d'innocents parce qu'un rapport des services secrets de la Grande-Bretagne nous dit que Saddam Hussein possède des armes de destruction massive même si ce rapport est en grande partie le plagiat d'une thèse écrite par un étudiant il y a quelques mois ?

Les Américains se disent attaqués par l'Irak. Timothy McVeigh, l'auteur de l'attentat d'Oklahoma City, a tué plus d'Américains que ne l'ont fait tous les soldats irakiens pendant la première guerre du Golfe. Depuis, aucun Américain n'a été attaqué par l'Irak. Ils disent que leurs alliés dans la région, l'Arabie Saoudite et Israël, sont menacés par Saddam Hussein. Ces alliés ont-ils demandé qu'on vienne à leur défense ? Non. Au contraire. Cette guerre ne leur cause que des problèmes. Et même s'ils l'appuient du bout des lèvres, ils prient pour qu'elle ne survienne pas. D'autant qu'il n'existe pas au monde de pays plus impuissant que l'Irak, malgré son armement qui n'est pas négligeable. L'Irak est encerclé, soumis par les États-Unis et la Grande-Bretagne à un régime de surveillance et d'interdiction de vol qui lui interdit toute aventure militaire hors de ses frontières. L'Irak ne menace personne. Sauf George Bush.

Allons-nous tuer des milliers d'innocents pour satisfaire les fantasmes de Bush, ses déconvenues dans la lutte contre Oussama ben Laden (lutte amplement justifiée) et la volonté américaine d'assurer l'approvisionnement en pétrole ? C'est la question que notre premier ministre doit se poser. En effet, toutes les autres justifications relèvent de la fabulation. Et il y a pire. Une fois le concept de guerre préventive approuvé, que ferons-nous de l'Iran, de la Corée du Nord, de la Libye (déjà dans la ligne de mire) et, à un autre niveau, du Pakistan et de l'Inde, qui jouent du nucléaire comme des enfants irresponsables, voire de la Russie, qui massacre les Tchétchènes, ainsi que des Chinois et des Américains, qui continuent de fabriquer des armes chimiques et biologiques interdites par l'ONU ? Que ferons-nous d'Israël, qui rejette toutes les résolutions de l'ONU ? Faudra-t-il les anéantir tous ?

Voilà la véritable question que les Américains nous posent. La seule réponse à un monde qui nous échappe est-elle de commettre un crime contre l'humanité ? Nos voisins disent oui sans hésitation. M. Chrétien, au nom de la grande majorité des Canadiens qui s'opposent à cette tuerie injustifiée, je vous en prie : dites non et proclamez notre respect de l'humanité.

Fin
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Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 06 avril 2003 15:05
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue