Le Devoir, Montréal, Édition du vendredi, 7 mars 2003, page A9 – Idées.

L'ONU, une structure mondiale
pour la paix et la sécurité

L'usage illégal, unilatéral et préventif de la force ne peut se substituer au droit sans plonger l'humanité dans une insécurité durable
Jean-Louis Roy
Président de Droits et Démocratie

Les crises diplomatiques et l'incroyable rhétorique des dernières semaines, les menaces de mise à l'écart des Nations unies, les milliers de pétitions de solidarité avec le peuple irakien et l'indignation exprimée par des millions de personnes à l'idée d'une guerre « préventive » unilatérale ont fait ressortir l'importance du multilatéralisme ainsi que la nécessité absolue de renforcer les structures internationales vouées au maintien de la paix et de la sécurité. La consolidation des Nations unies, le renforcement de ses mécanismes de surveillance, d'inspection et de signalisation ainsi que le soutien à la Cour pénale internationale constituent les trois piliers de cette politique.

La crise actuelle a prouvé sans le moindre doute la place centrale des Nations unies dans l'analyse, la négociation et la décision en ce qui concerne la paix et la sécurité. Ce système, qui rassemble toutes les nations du monde, fonctionne. L'idée de sa mise entre parenthèses constitue une véritable régression et aurait des conséquences inimaginables. Cette idée doit être combattue pour ce qu'elle est : une attaque contre les normes, les obligations et les institutions qui, réunies, assurent cohésion et cohérence à une humanité autrement éclatée. Du monde entier devrait se lever une coalition globale en appui aux Nations unies.

Pour l'instant, le débat sur l'Irak a lieu au sein des Nations unies, l'institution qui a pour mandat de protéger notre monde et les générations futures contre les affres de la guerre. La crise actuelle doit nous conduire à consolider les Nations unies et à accroître ses moyens d'intervention comme unique fiduciaire de la paix et de la sécurité de tous et pour tous.

Nous sommes en train de créer un précédent en ce qui concerne la façon de réagir aux menaces contre la sécurité et la paix en ces temps dits de mondialisation. D'où l'extrême importance de fonder nos procédures et nos choix sur le droit international, y compris le droit humanitaire et les droits de la personne. Ce droit et ces droits ont été établis au sein des Nations unies depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale pour protéger l'humanité contre la terreur et les conflits et afin de donner leur chance à la médiation et au règlement pacifique des crises. L'usage illégal, unilatéral et préventif de la force ne peut se substituer au droit sans plonger l'humanité dans une insécurité durable et provoquer des désastres inouïs.

Dans ce contexte, la récente proposition du gouvernement du Canada au Conseil de sécurité constitue un développement significatif. Mais si l'idée d'établir un inventaire des tâches à accomplir apparaît utile, celle de fixer une date butoir doit être rejetée.

Notre engagement envers les Nations unies ne devra pas s'étioler une fois la présente crise résolue, si elle l'est. On devra alors procéder à une analyse rigoureuse de ses ressources et capacités en matière de sécurité et les hausser à la hauteur des exigences de la nouvelle réalité mondiale.

Nous devons réfléchir à notre capacité de prévenir les guerres. Dans le cas de l'Irak, la meilleure mesure préventive dont nous disposons est le programme d'inspection des armements des Nations unies. À cet égard, le gouvernement du Canada doit appuyer le renforcement de la mission d'inspection tel qu'envisagé par les gouvernements français et allemand.

Pour l'avenir, les mécanismes de prévention dont les Nations unies disposent devront revêtir un caractère plus permanent afin de ne pas toujours répondre aux crises de manière ad hoc. Il faudra en conséquence renforcer les mécanismes de surveillance, d'inspection et de signalisation des Nations unies afin de déterminer les «points chauds» avant que ceux-ci ne dégénèrent en crises ouvertes. De plus, le secrétaire général devrait préparer un rapport annuel sur l'état de la sécurité dans le monde -- y compris un compte rendu du commerce des armes et des dépenses militaires ainsi qu'une évaluation de la capacité des Nations unies à remplir son mandat de maintien de la sécurité et de la paix.

La Cour pénale internationale

Les poursuites internationales au pénal constituent aujourd'hui le meilleur moyen d'intenter une action en justice contre les dictateurs et les criminels de guerre. Ces derniers risquent peu d'être touchés par des sanctions économiques et des campagnes de bombardement. Il est regrettable que l'administration américaine ait systématiquement miné l'élaboration d'un droit pénal international. Étant donné son opposition active à la Cour pénale internationale (CPI), elle ne peut préconiser l'emprisonnement de Saddam Hussein à La Haye dans la cellule adjacente à celle de Slobodan Milosevic.

Si, malheureusement, le recours à la CPI ne peut dans ce cas être envisagé, le Conseil de sécurité a le pouvoir de créer un tribunal spécial pour l'Irak, comme il l'a fait pour l'ex-Yougoslavie, le Rwanda, l'attentat de Lockerbie et le Sierra Leone. Procéder à l'arrestation de Saddam Hussein et porter l'affaire devant un tribunal pénal international comporteraient des difficultés considérables, mais on ne doit pas automatiquement rejeter cette option pour autant. Dans la mesure où les autorités internationales seraient contraintes d'employer la force, au moins celle-ci serait-elle proportionnelle au danger et mieux justifiée que les plans américains pour l'opération Choc et Terreur.

Si un dictateur est poursuivi devant un tribunal, des preuves sont examinées, des arguments sont pesés et une décision est rendue en vertu de la loi. Étant donné que le châtiment maximal pour une violation de la résolution 1441 correspond à une sentence de mort pour un demi-million d'Irakiens, le Canada doit exiger que chaque décision repose sur des faits et non sur des conjectures, de la propagande et des insinuations. Au début du XXIe siècle, c'est le droit pénal international qui doit prévaloir comme expression du progrès et des besoins de l'humanité.

Il ne faut pas se leurrer : l'Irak est encerclé par une puissance militaire écrasante et l'administration américaine ne cache pas ses intentions. Si la phase initiale d'« Operation Shock and Awe » se déroule jusqu'à son point de dévastation maximale, de 2000 à 3000 bombes et missiles seront largués sur l'Irak dans les premières 48 heures, produisant une force explosive assez grande pour faire de Bagdad un Hiroshima non nucléaire. Les planificateurs des interventions d'urgence des Nations unies évaluent à un demi-million le nombre de morts et de blessés qui en résulteraient, sans compter les victimes des épidémies et des pandémies qui risquent de se produire. L'alimentation de trois millions de personnes sera précaire, 3,6 millions auront besoin d'abris temporaires, 900 000 Irakiens se réfugieront dans les pays voisins et deux autres millions à l'intérieur de leur propre pays.

À ce jour, et malgré une campagne massive et soutenue, aucune preuve n'a été établie en ce qui a trait à une menace globale, imminente et vérifiée qui puisse justifier tant de destruction, tant de victimes et la négation des droits humains d'un si grand nombre de gens.

Les récents événements ont montré à la fois la nécessité et la fragilité de la structure mondiale responsable du maintien de la sécurité et de la paix. Cette structure doit être renforcée pour répondre aux exigences de la réalité du monde tel qu'il est devenu, c'est-à-dire intégré et fragmenté, et afin de parfaire les règles du droit international et consolider le plein respect des droits humains. Cette consolidation est seule susceptible de protéger l'humanité contre la terreur, l'insécurité, l'incivilité et l'usage inconsidéré de la force qui menacent notre temps.

Fin
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Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 06 avril 2003 15:06
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue