Le Devoir, Montréal, Édition du mardi, 18 mars 2003, page A8 – Libre opinion.

Le droit international
et l'emploi de la force contre l'Irak
Donat Pharand
Professeur de droit émérite, Université d'Ottawa


Il est déplorable de constater à quel point le droit international, qui régit les relations entre États, est ignoré dans le débat actuel sur la licéité ou légalité de l'usage de la force contre l'Irak. Il existe toutefois une exception : tous s'entendent pour insister que l'Irak, sous le régime tyrannique de Saddam Hussein, est en violation flagrante de ses obligations internationales et des résolutions du Conseil de Sécurité.

Bien sûr, personne ne pourrait nier une telle violation. Mais qu'en est-il du fondement juridique de l'opération militaire massive, prête à être lancée sous l'égide des États-Unis du moment que le général Tommy Franks en recevra l'ordre ? La réponse doit se trouver dans la Charte des Nations unies, l'organisation fondée en 1945 pour « préserver les générations futures du fléau de la guerre » (Préambule) et « maintenir la paix et la sécurité internationales » [art. 1(1)].

La Charte impose une obligation à tous les États membres de s'abstenir, « dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations unies » [art. 2(4)]. Seulement deux exceptions sont faites à cette prohibition générale : une action coercitive militaire autorisée par le Conseil de Sécurité et une mesure de légitime défense par un État ou groupe d'États.

Une action coercitive militaire peut être autorisée par le Conseil de Sécurité lorsque deux conditions sont réunies. Premièrement, le Conseil doit constater « l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression » (art. 39). Dans le cas de l'Irak, le Conseil a déjà unanimement décidé, le 8 novembre 2002, que l'Irak posait une menace à la paix et était en « violation substantielle » de ses obligations de désarmement (rés. 1441). Deuxièmement, le Conseil doit estimer que des mesures non militaires « seraient inadéquates ou qu'elles se sont révélées telles » (art. 42). Si tel est le cas, le Conseil « peut entreprendre toute action qu'il juge nécessaire au maintien de la paix ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales » (art. 42).

Ici également, les mesures non militaires, sous la forme de sanctions économiques, se sont révélées inadéquates, et le Conseil pourrait donc exercer son pouvoir d'autoriser une action coercitive militaire.


Une action en légitime défense est, en effet, permise par la Charte à certaines conditions. (art. 51). Premièrement, le « droit naturel [en anglais inherent] de légitime défense, individuelle ou collective » (art. 51), peut s'exercer comme action provisoire et doit cesser immédiatement lorsque le Conseil de Sécurité a pris les mesures nécessaires. Deuxièmement, l'action en légitime défense doit être en réponse à une « agression armée » (en anglais, armed attack) qui a déjà eu lieu. Cette condition pose un problème d'interprétation temporelle.

Avec le développement d'armes à destruction rapide et massive, les États ont commencé à invoquer le droit de légitime défense préventive. La situation envisagée est celle d'un État en mesure de faire la preuve qu'un autre État prépare une agression armée contre lui et que cette agression est imminente. L'imminence de l'attaque doit être telle que l'État visé n'aurait pas le temps de se défendre s'il n'agissait pas le premier. Le droit international coutumier permet ce genre de défense légitime et, avec le passage du temps, on interprète maintenant la disposition de la Charte comme permettant une telle mesure préventive.

Nous devons souligner, toutefois, que le caractère imminent de l'agression armée anticipée constitue un élément crucial. Une simple menace possible ou latente d'une agression armée ne peut servir de fondement juridique à une opération militaire à titre de mesure préventive. Il n'existe aucun précédent en droit international pour une telle opération et ce serait le début de la fin de la règle de droit dans les relations internationales que de la permettre.

L'analyse qui précède nous mène à deux conclusions. Premièrement, seul le Conseil de sécurité peut autoriser des mesures coercitives militaires. Le Conseil a déjà constaté que l'Irak posait une menace à la paix, mais a décidé de tenter le désarmement de ce pays par l'établissement d'un système d'inspection plutôt que d'autoriser une action coercitive militaire. Deuxièmement, une action en légitime défense ne serait justifiée que dans la mesure où le Conseil de sécurité n'aurait pas pris les mesures nécessaires. En l'occurrence, le Conseil a déjà pris de telles mesures, sous la forme d'un processus d'inspection de désarmement, et il demeure saisi de la question.

En conséquence, aucun droit de légitime défense, individuelle ou collective, ne subsiste présentement. De toute façon, même si le droit de légitime défense subsistait, aucune opération militaire par un État ou un groupe d'État, en réponse uniquement à une agression armée possible, ne pourrait se justifier en droit international. La menace d'une agression armée n'existe pas et n'est pas imminente.

Fin
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Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 06 avril 2003 15:07
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue