Le Devoir, Montréal, Édition du jeudi, 27 mars 2003, page A 6 - Éditorial.

Pourquoi l'Irak ?
Serge Truffaut, éditorialiste

Mots clés : Irak (pays), États-Unis (pays), guerre, raisons, monde unipolaire

Les idéologues qui entourent le président Bush ont atteint leur but. Depuis douze ans, ils clament haut et fort qu'à la suite de l'implosion de l'Union soviétique, le rôle des organisations emblématiques du multilatéralisme comme l'ONU doit être réduit à trois fois rien afin de ne pas altérer le destin des États-Unis. En militants fervents de « la logique des empires », rien ne doit empêcher leur pays de dominer un monde que l'on veut unipolaire. Première étape ? L'Irak.

Le renversement de Saddam Hussein et son remplacement par un régime sculpté en fonction de valeurs américaines est l'obsession d'un homme : Paul Wolfowitz. Depuis l'installation de Bush à la Maison-Blanche, il est le numéro deux du Pentagone. Lorsque Bush père était aux commandes, Wolfowitz patronna la planification de la campagne Tempête du désert, qui se conclut, pour lui, par un dépit. En effet, au nom de principes qui siéent au multilatéralisme, Bush refusa d'aller jusqu'à Bagdad. Par l'intermédiaire de Bush fils, Wolfowitz réalise actuellement son rêve.

Dans cette histoire, il est remarquable de constater qu'une fois encore la guerre fut précédée par une bataille des idées remportée, celle-ci, par Wolfowitz. Par lui et tous ceux qui l'ont suivi et qui occupent aujourd'hui des postes influents dans l'administration ou à la périphérie de celle-ci. On pense à Richard Perle, président du Defense Policy Board, qui conseille le Pentagone, ou à William Kristol, éditeur du Weekly Standard, qui est la bible des néo-conservateurs, financée par Rupert Murdoch, propriétaire de la chaîne Fox News, ou encore à Robert Kagan, essayiste et associé du Carnegie Endowment for International Peace.

En février 1998, tous ces bonzes et éminences grises ont adressé au président Clinton une lettre l'exhortant à faire de l'Irak la pierre angulaire de la politique étrangère des États-Unis. Tout ce que le monde vit aujourd'hui, et même depuis plusieurs mois, est contenu dans cette missive : l'endiguement qui avait guidé la politique à l'époque de l'Union soviétique doit être abandonné, l'action unilatérale doit être privilégiée même si cela doit signifier la fin du multilatéralisme, etc. De cette lettre, on retiendra autre chose : huit des dix-huit signataires, dont Donald Rumsfeld, entourent aujourd'hui le président Bush.

Tous étant des universitaires, des intellectuels bardés de diplômes aimant jongler avec les concepts, il est peut-être bon de préciser leur filiation. Ils sont les héritiers de l'école philosophique de Chicago, les enfants du professeur Allan Bloom, auteur de The Closing of The American Mind ou L'Âme désarmée. Surtout, ils sont les descendants du philosophe Leo Strauss. Résumé à l'extrême, son projet fut le suivant : l'idée selon laquelle l'esprit des Lumières, le rationalisme, est supérieur à l'obscurantisme religieux est une supercherie. Bien au contraire, les prétentions de l'orthodoxie religieuse sont toujours d'actualité. D'autant plus que le monde se divise encore et toujours, selon tous ces messieurs, entre le bien et le mal. C'est tout noir ou blanc. Il ne peut y avoir de place pour le gris, pour la nuance, pour le débat, pour... les Nations unies ! En adeptes de Strauss, ils sont enfin des partisans de l'action. Pour eux, l'exercice du droit des États-Unis, nation qui a ceci de différent des autres qu'elle est aussi une idée, à régenter le monde passe par l'action. Par la guerre ! Aujourd'hui l'Irak, demain...

Le problème, avec tout ce fatras idéologique, c'est que ces messieurs ont oublié une chose que l'économie est en train de leur rappeler. Ainsi qu'on commence à le lire ici et là aux États-Unis, l'administration Bush a oublié qu'elle préside un pays qui, depuis le début des années 80, s'est fait le chantre du libéralisme, de cette mondialisation des marchés qui a favorisé l'avancée de ce multilatéralisme. Que Wolfowitz et consorts n'aient pas songé à cela nous fait espérer une chose : Bush perdra ses élections sur le front économique, celui où l'on fait la guerre autrement.

Fin
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Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 06 avril 2003 16:40
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue