Le Devoir, Montréal, Édition du mardi 15 avril 2003, page A 10 - libre opinion.

La laïcité pour nous protéger du triomphalisme de l'intégrisme international


Daniel Baril
Vice-président du Mouvement laïque québécois

Depuis qu'il est élu, le président américain George W. Bush a toujours terminé ses discours en invoquant l'aide de Dieu. Dans le conflit avec l'Irak, il a non seulement affirmé que Dieu était de son côté, mais les fondamentalistes qui l'entourent ont même réussi à faire adopter des résolutions par le congrès et le sénat invitant le peuple américain à prier et à jeûner afin d'assurer la protection divine aux troupes américaines.

De leur côté, les intégristes musulmans, qui prient le même dieu que les chrétiens, ont toujours clamé que Dieu allait sévèrement châtier les infidèles qui ont déclaré cette guerre, et ont eux-mêmes fait appel au déclenchement de la guerre sainte contre l'envahisseur.

Et voilà que la victoire est dans la poche des Américains. Si les exhortations divines, soutenues sans rire par les belligérants et relayées avec le même sérieux par les médias, avaient du sens avant et pendant la guerre, cette façon de voir les choses doit encore avoir du sens aujourd'hui. Ce qui veut donc dire que Dieu préfère les chrétiens, voire les Américains.

Ou encore que la façon de prier des chrétiens américains est plus efficace, ou plaît davantage aux oreilles de Dieu. Mais dans ce cas, pourquoi Dieu n'a-t-il pas protégé tous les soldats américains ? Sans doute parce qu'il y avait des impies parmi eux.

Le ridicule ne tue pas, mais il intoxique. Les humanistes et les libres penseurs étaient morts de rire devant cette surenchère de bondieuseries de part et d'autre. Mais maintenant que nous savons que God is an American, nous sommes morts de frayeur. Si Dieu a permis cette victoire, comment réagira-t-il à l'égard des pays comme le Canada qui ont refusé de s'engager dans la croisade contre «l'axe du mal» ? Et le Canada n'est-il pas un pays trop laïque aux yeux de l'administration Bush ?

Contrairement à la tradition américaine, nous ne voyons jamais le premier ministre canadien sur les perrons d'église le dimanche matin. Le premier ministre ne préside pas de séances de prière au sénat comme cela se fait aux États-Unis. La devise canadienne est territoriale alors que celle des États-Unis est déiste. Jean Chrétien n'a jamais invoqué Dieu en appui à ses politiques. Pire, au lendemain de l'attaque du 11 septembre 2001, le gouvernement canadien a organisé une cérémonie totalement laïque en hommage aux victimes.

Les États-Unis ont par ailleurs déjà accusé la France de brimer la liberté de religion parce qu'elle recourt à la laïcité de l'État pour bloquer la montée de l'intégrisme religieux et pour contrer les méthodes racoleuses de recrutement des sectes. Au nom du fondamentalisme religieux qui leur sert de phare, accuseront-ils un jour la culture publique laïcisante du Canada d'être un terreau pour les ennemis de Dieu ?

La chose est loin d'être farfelue lorsqu'on considère les précédents de la politique américaine et lorsqu'on connaît le fondamentalisme religieux auquel s'identifie et s'abreuve George Bush conseillé et entouré de créationnistes.

Et que resterait-il de la laïcité tacite du Canada -- laïcité qui n'a aucune base juridique ferme -- si les fondamentalistes de l'Alliance canadienne en venaient à prendre le pouvoir à Ottawa ? Si ce virage a pu être pris dans une république comme celle des États-Unis malgré l'existence dans leur constitution du principe de la séparation des Églises et de l'État, on n'ose imaginer ce que pourrait devenir la monarchie canadienne à l'heure du triomphalisme de l'intégrisme international.

Voilà qui met en perspective l'urgente nécessité de doter le Canada et le Québec d'une déclaration de laïcité afin de nous préserver du pire.

Fin
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Dernière mise à jour de cette page le Mardi 15 avril 2003 20:03
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue