Le Devoir, Montréal, Édition du samedi 26 et du dimanche 27 avril 2003.

Ce qui n'est pas arrivé


Gil Courtemanche, journaliste

Mots clés : Irak (pays), déroulement, guerre

Durant les mois qui ont précédé le déclenchement de la guerre contre l'Irak, le monde entier, mais surtout les citoyens américains, a été soumis à un formidable barrage de propagande et de désinformation. La guerre n'avait pas encore débuté, mais on avait acquis des certitudes. Saddam possédait une formidable machine de guerre, sa cruauté et sa folie le pousseraient aux pires crimes pour entraver la marche américaine, les réseaux terroristes islamistes, particulièrement aux États-Unis, se lanceraient dans des attaques suicide. Tout aussi avait été mis en place par les planificateurs du Pentagone pour que la vie reprenne rapidement son cours après la victoire, pour que les services et la sécurité soient rétablis, les infrastructures protégées et que toutes les tendances politiques soient réunies pour donner enfin à l'Irak la démocratie.

Ce qui n'est pas arrivé : il n'y a pas eu vraiment de guerre. Entendons-nous. Il y a eu bien sûr les tapis de bombes intelligentes qui perdaient parfois, un peu trop souvent, la tête et décidaient de tomber sur un marché public. Au sol cependant, il n'y a pas eu d'affrontement entre deux armées. La raison en est simple et les États-Unis le savaient, Saddam n'avait ni armée, ni soldats aguerris, ni équipements modernes.

Tout cela était parti en fumée et en ferraille lors de la guerre de 1991. Si guerre il y a eu, ce fut un peu comme une coupe Stanley disputée entre les Sénateurs d'Ottawa et les Moustiques de Saint Clet.

On nous avait prédit le feu et le sang, la politique de la terre brûlée, le cataclysme chimique, l'horreur botulique. Rien de cela n'est survenu. Le raïs n'a pas mis le feu aux installations pétrolifères. Pourtant, il en aurait eu le temps. Il n'a pas pratiqué la politique de la terre brûlée, il a tout simplement vidé le terrain. Doté d'un arsenal chimique et biologique qui menaçait la planète, y compris les très lointains États-Unis, il a semble-t-il oublié de l'utiliser. Ses missiles sont demeurés sur leurs rampes de lancement et seul un gros pétard mouillé, une antiquité chinoise, s'est abattu sur un centre commercial. Pas un seul Scud ne s'est envolé vers Israël.

Vaccins au placard

Chez nos voisins, on a abaissé la cote d'alerte interne et remisé dans les placards les vaccins contre la variole et les rubans adhésifs qui devaient protéger les civils américains d'attaques au gaz. Une seule bombe d'al-Qaïda : une bande vidéo. Aurait-on oublié de nous dire que la guerre contre l'hydre Oussama avait été gagnée ?

Sur le terrain, tous les services essentiels ont été paralysés, les édifices publics détruits, les musées pillés. Seul le ministère du Pétrole a été protégé. Ce qui n'est pas arrivé : l'eau à Bassora, des hôpitaux qui fonctionnent. Rumsfeld avait évoqué des centaines de milliers d'Irakiens criant leur joie, un peu comme en France lors de l'arrivée des troupes alliées en Normandie. CNN, pour rendre réelle la prophétie, repasse en boucle depuis deux semaines la chute de la statue de Saddam devant l'hôtel Palestine.

Très rapidement, toutes les composantes de la société irakienne devaient se retrouver unies dans de grandes palabres constructives. Ce n'est pas arrivé. Seuls participent aux négociations pour s'arracher le pactole irakien des exilés de longue date qui ne représentent que des Irakiens qui ne vivent pas en Irak et qui n'ont pas l'intention d'y retourner. Interdits de palabres sont tous ceux qui ont le plus pâti de la dictature de Saddam, ces chiites qui rongent leur frein islamique et radical depuis que Saddam a pris le pouvoir.

Quadrature du cercle

Voilà un paradoxe, une quadrature du cercle qui fascine. Comment faire la démocratie en Irak tout en interdisant que les représentants de 60 % de la population irakienne y participent ?

Maintenant, arrêtons-nous à ce qui est arrivé et à ce qui arrive. Même les plus modérés des Irakiens souhaitent le départ rapide des Américains. Dans l'est du pays, le long de la frontière avec l'Iran, s'est installé une sorte de gouvernement informel constitué de mollahs intégristes conseillés par des envoyés iraniens. Même les imams sunnites appellent à la résistance passive aux Américains et déclarent qu'on ne saurait tolérer plus longtemps le pied de l'infidèle sur le sol sacré de l'islam...

Les tensions entre Kurdes et Arabes dans le nord peuvent entraîner les pires débordements. À Karbala, des centaines de milliers de pèlerins ont réclamé l'instauration d'une république islamique.

Ce qui est déjà arrivé : dans un temps pas si lointain, pour s'assurer une victoire à courte vue contre la dictature soviétique en Afghanistan, Washington avait décidé d'appuyer une minorité radicale de fous de Dieu. Cela nous a donné les talibans, al-Qaïda et la récente invasion de l'Afghanistan. En Irak, le scénario possible est encore pire. Ce n'est pas une minorité, mais une militante majorité chiite que la guerre vient de libérer, une majorité fortement incrustée dans la mouvance d'un autre membre de l'axe du mal, l'Iran. La guerre, dit-on, n'est qu'une manière de faire de la politique. Voici les choix politiques auxquels les Américains sont confrontés : installer un protectorat américain de facto, soutenir une nouvelle dictature sunnite composée d'exilés irakiens ou permettre la démocratie qui enfantera selon toute vraisemblance une nouvelle république islamiste. Quelle belle victoire M. Rumsfeld ! Quel beau gâchis, M. Powell !

Fin
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Dernière mise à jour de cette page le Samedi 26 avril 2003 09:02
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue