Le Devoir, Montréal, Édition du mardi, 29 avril 2003, page A7 – Idées.

Éducation

Étude de la réussite au collégial
Comment éviter les efforts collectifs qui tournent à vide ?
Jacques Roy (jacques.roy@cegep-ste-foy.qc.ca)
Sociologue, professeur au Cégep de Sainte-Foy et membre-chercheur de l'Observatoire Jeunes et société

Traditionnellement, la réussite scolaire est principalement observée à partir d'indicateurs du milieu de l'éducation. C'est ainsi que l'environnement éducatif, les stratégies pédagogiques ou les passerelles entre les cycles scolaires (par exemple, du secondaire au collégial) sont, parmi d'autres, les éléments qui sont généralement analysés en priorité dans la confection des plans de réussite en milieu collégial.

Par ailleurs, l'univers du jeune est loin d'être conscrit entre les quatre murs de l'école. Bien au contraire, le jeune adolescent au cégep est perméable aux influences en provenance de la société. De façon générale, il désire s'intégrer à la vie collective et les stratégies qu'il déploie ainsi que les valeurs qu'il porte en témoignent éloquemment. Or, selon une recherche que nous avons conduite auprès de 563 étudiants du cégep de Sainte-Foy depuis deux ans et financée par le programme PAREA, des facteurs sociaux tels que la dualité travail-études, les idéologies dominantes dans la société, le rapport à la famille, les conditions socioéconomiques des étudiants, leur bien-être personnel, leurs valeurs et leurs aspirations pour demain, sont autant d'éléments qui contribuent parfois de façon significative à la réussite ou à l'échec scolaire. Regardons de plus près.
[Photo: Depuis au moins vingt ans, des mutations sociales et culturelles se sont opérées chez les jeunes au Québec. Le pluralisme sur le plan des valeurs, l'attrait de la consommation et du divertissement, la prégnance de la culture technologique et la quête d'autonomie personnelle comptent parmi les figures premières de cette métamorphose sociale. Avec comme résultats que nos points de repère pour examiner la réussite scolaire se sont déplacés.]

Un nouveau paradigme

Depuis au moins vingt ans, des mutations sociales et culturelles se sont opérées chez les jeunes au Québec. Le pluralisme sur le plan des valeurs, l'attrait de la consommation et du divertissement, la prégnance de la culture technologique et la quête d'autonomie personnelle comptent parmi les figures premières de cette métamorphose sociale. Avec comme résultats que nos points de repères pour examiner la réussite scolaire se sont déplacés.

Ces mutations nous ont invités à considérer un nouveau paradigme, celui du social dans la façon même d'interroger la réussite scolaire et les interventions à développer. Nous sommes alors appliqués à placer la lentille sur les dimensions sociales des jeunes collégiens pour mieux comprendre l'articulation entre ces dimensions et la réussite scolaire.

Notre recherche a mis en évidence des passerelles entre le «social» et la réussite scolaire. Des facteurs tenant au bien-être personnel, aux valeurs des jeunes, aux conditions socioéconomiques, aux liens familiaux, au travail rémunéré et à des types de socialisation différents selon le sexe, nous sont apparus des révélateurs de l'itinéraire des étudiants au regard du succès ou de l'échec.

Le mythe du désenchantement

Il est de bon ton de présenter les jeunes dans un moule unique où les valeurs matérialistes et hédonistes signeraient l'époque. Ajoutons le segment des jeunes qui s'apparenteraient au courant nihiliste et nous obtenons un portrait plus général traduisant un certain désenchantement des jeunes face au savoir, où la lutte entre la consommation tous azimuts et l'acquisition des connaissances serait fort inégale au profit de la première.

Une telle représentation apparaît abusive à la lumière de nos résultats. Bien que ces dimensions évoquées plus haut soient bel et bien présentes chez certaines catégories d'étudiants -- en particulier, chez ceux qui travaillent plus de 20 heures par semaine tout en étudiant et qui privilégieront par exemple des valeurs liées à la consommation de biens matériels et à l'apparence physique --, elles s'écartent du profil général.

C'est ainsi, par exemple, que l'importance de l'effort pour réussir, la compétence professionnelle, l'acquisition de connaissances ou la signification du diplôme collégial, sont des thèmes qui ont supplanté de loin des valeurs associées au plaisir ou à la consommation.

On est à distance ici du mythe du désabusement face au savoir que certains voudraient y voir chez les jeunes de façon indifférenciée. Or, dans notre recherche, ce groupe de premières valeurs étaient reliées positivement à la réussite scolaire, à l'inverse des secondes portant sur la consommation et le plaisir mais aussi sur l'importance de l'apparence, de gagner de l'argent rapidement ou du temps présent (culture de l'immédiateté, le tout tout de suite ici et maintenant).

De diverses manières, nous avons pu constater également que la famille occupe une place significative dans l'esprit des jeunes. La très grande majorité des étudiants (les trois quarts) se considèrent « beaucoup » encouragés par leurs parents dans la poursuite de leurs études; ils discutent régulièrement avec eux de différents sujets; enfin, les valeurs rattachées à la famille sont très présentes chez eux à l'instar d'autres études dont celle réalisée en France par Galland et Roudet (2001).

Notre recherche témoigne de l'existence de liens étroits entre d'une part des facteurs tenant de la solidarité familiale et de valeurs familiales bien enracinées chez les étudiants et d'autre part la réussite scolaire. Ce qui signifie que l'engagement des parents contribue directement à la réussite scolaire même si cette réalité porte l'inconvénient d'être plutôt invisible aux yeux de l'opinion publique, des médias... et des parents eux-mêmes qui sembleraient ignorer l'influence tangible qu'ils exercent sur leurs enfants.

Le bien-être personnel du jeune est associé à la réussite. Ne pas être satisfait de soi ou consommer de l'alcool ou drogue de façon abusive sont des prédicteurs de rendements scolaires moindres. Par ailleurs, dans notre étude, un étudiant sur cinq a mentionné se sentir « souvent » déprimé. Ce qui est appréciable ! D'autant plus, que selon l'enquête sociale et de santé de l'Institut de la statistique du Québec (2001), on y apprend que 28 % des jeunes âgés de 15-24 ans avaient un niveau élevé de détresse psychologique et que celui-ci décroît avec l'âge (20 % pour la population en général, 11 % chez les aînés de 65 ans et plus).

Le travail rémunéré chez les étudiants est une réalité montante : six étudiants sur 10 occupent un emploi rémunéré pendant leurs études. Son influence sur la réussite est manifeste mais de deux manières différentes. Pour les étudiants consacrant moins de 15 heures par semaine à une telle occupation, cette dernière n'altère pas les résultats scolaires. Mieux : ces étudiants ont une moyenne scolaire légèrement plus élevée que l'ensemble des élèves.

Inversement, ceux accordant 20-25 heures et plus hebdomadairement à un emploi rémunéré sont davantage à risque d'échec.

Mais pourquoi travaillent-ils ? Une analyse des motifs nous conduits à considérer la recherche d'une autonomie personnelle et l'attrait de la consommation comme les principaux facteurs, le motif de la survie -- travailler pour subvenir à des besoins de base -- occupant une part congrue dans nos résultats. À remarquer que l'autonomie personnelle et la consommation comptent parmi les valeurs dominantes sur le plan des tendances évolutives et qu'elles sont toutes deux des vecteurs d'intégration sociale chez les jeunes occupant un emploi.

Bien que l'univers des différences entre les filles et les garçons constitue, en soi, un vaste chantier de recherche, nous avons pu néanmoins repérer quelques différences en relation avec les types de sociabilité. Globalement, les filles seraient davantage perméables à l'influence de leur environnement (amis, famille, autres proches) et cette influence conditionnerait en partie leurs résultats scolaires alors que chez les garçons, la sociabilité opérerait sur une base plus individuelle (en solitaire ?) où des facteurs relatifs à la motivation personnelle, à un désengagement même acculeraient certains au point de rupture avec leurs études.

Une autre façon d'interroger la réussite

En fin de parcours, nous portons la conviction qu'il y a lieu d'intégrer dans la réflexion et les pratiques en matière de réussite scolaire, des dimensions tenant au « social » afin de mieux mesurer l'apport de certaines logiques sociales sur le parcours scolaire des étudiants, d'en comprendre les mécanismes et de mieux cibler et de rendre plus efficaces les interventions auprès des jeunes.

Les résultats de notre recherche invitent à décloisonner la façon même de «penser» la réussite en empruntant la perspective d'un maillage entre les facteurs internes au milieu de l'éducation et les facteurs sociaux externes. C'est à cette condition qu'il nous sera davantage possible d'articuler des programmes et des politiques en matière de réussite scolaire en fonction de la réalité des jeunes évitant ainsi que des efforts collectifs ne tournent à vide.

Fin
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Dernière mise à jour de cette page le Lundi 26 mai 2003 11:45
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue