Le Devoir, Montréal, Édition du samedi, 31 mai 2003, pages B 4 - Éditorial.
Les menteurs
Serge Truffaut
Mots clés : États-Unis (pays), Grande-Bretagne (pays), Gouvernement, menteurs
Tous les docteurs Jekyll de la Maison-Blanche et du 10 Downing Street ainsi que tous les Mister Hyde des administrations américaine et britannique ont menti. Pendant des mois, ils ont bluffé les Nations unies. Aujourd'hui, ils confient que les armes de destruction massive étaient au fond un leurre dont ils ont usé parce qu'ils sont des hommes en mission. Laquelle ? Saigner durablement le multilatéralisme car celui-ci est contraire à la mission américaine consistant à imposer le Bien au monde.
La semaine qui s'écoule a été riche en révélations propres à donner le vertige. Dans un premier temps, le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, a laissé tomber l'information suivante : Hussein avait probablement détruit les armes de destruction massive. Fait à noter, il a dit cela avec ce ton badin qu'il emploie parfois pour communiquer des renseignements qui, jamais, ne peuvent être confondus avec l'aveu puisque la raison est de son côté. On osera dire : naturellement de son côté, puisque les États-Unis sont l'« empire bienveillant ».
À peine le monde commençait-il à digérer cette indication que le second de Rumsfeld s'est mis en tête de faire écho à ses propos. Paul Wolfowitz, puisque c'est de lui qu'il s'agit, nous a appris que le motif des armes a été choisi pour des raisons... bureaucratiques ! Dans une entrevue accordée au mensuel Vanity Fair, celui dont l'obsession irakienne remonte aux années de Bush père précise que les armes en question se sont avérées le dénominateur commun, la raison sur laquelle les premiers rôles de l'administration Bush se sont le plus facilement accordés pour orchestrer l'offensive en Irak.
Ainsi donc, pendant des mois, l'administration Bush a confectionné et défendu avec une force à faire frémir ce qui n'était qu'une légende. Des semaines durant, on a capté l'agenda du monde autour d'un mensonge. On s'est moqué de l'ONU avec un tel cynisme qu'il est à espérer que les Britanniques forceront l'autre menteur du groupe, Tony Blair, à reprendre la proposition de son ex-ministre des Affaires étrangères, Robin Cook. Celle-ci consiste à mettre sur pied une commission parlementaire sur tout ce qui a trait à la vaste campagne de désinformation qui a été organisée.
Il faut également espérer que le Conseil de sécurité des Nations unies revienne quelque peu sur la dernière résolution portant sur l'Irak. On se souviendra que la semaine dernière, soit quelques jours avant que les maîtres chanteurs ne multiplient les confidences, les 15 membres du Conseil de sécurité ont voté, par pragmatisme ont-il indiqué, une résolution qui est en fait la légitimation a posteriori d'une guerre menée en totale contravention avec la Charte des Nations unies. Non seulement avec celle-ci mais également avec la résolution 1441, composée justement autour des armes et du mode d'inspection.
Dans le cadre de cette dernière résolution, Blair d'abord, Powell ensuite, ont multiplié des exposés tous rythmés sur la gamme des mensonges, les plus spectaculaires d'entre eux étant l'utilisation par Blair d'un vieux travail d'étudiant faussement présenté comme le patient travail des espions de Sa Majesté ainsi que la dramatisation, en février dernier, de faux-semblants par Powell.
Et tout cela pourquoi ? Parce qu'ils sont tous -- on ne le soulignera jamais assez -- des partisans ou plutôt des croisés de l'action, de la dynamique inhérente au combat. Il faut savoir que tous ces messieurs, Paul Wolfowitz en tête, se réclament intellectuellement du philosophe Leo Strauss, qui estime que « rejeter le droit naturel revient à dire que tout droit est positif, autrement dit que le droit est déterminé exclusivement par les législateurs et les tribunaux des différents pays ». Qu'on pousse sa logique, leur logique, jusqu'au bout, et on sombre dans une autre loi : celle de la jungle.
Fin
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