L'aut'courriel n° 195, 22 juillet 2006.

Le vrai visage de Stephen Harper
un essai-choc de Pierre Dubuc

Par Louis Cornellier
Article paru dans Le Devoir du 8 juillet 2006

Cliquer ici pour télécharger le texte de ces articles, un texte de 25 pages
incluant l'article de Louis Cornellier et les 6 articles de Pierre Dubuc
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Quel est, pour reprendre le titre de l'essai-choc que vient de faire paraître Pierre Dubuc, le vrai visage de Stephen Harper ? Est-ce celui du politicien favorable au Québec qui commence ses discours en français, prétend vouloir régler le déséquilibre fiscal et affirme pratiquer un fédéralisme d'ouverture ou celui de l'idéologue d'une droite dure d'inspiration états-unienne qui ne chante la pomme aux Québécois que pour mieux les embobiner?

Pour Dubuc, en tout cas, la cause est entendue: ceux qui croient que Stephen Harper est un ami du Québec se trompent lourdement. Directeur de l'aut'journal , mensuel de la gauche nationaliste québécoise, et secrétaire du club politique Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre, l'essayiste est catégorique: le parcours et les idées du premier ministre actuel du Canada entrent en collision frontale avec les intérêts du Québec.

Se souvient-on, par exemple, que Harper, en 1996, à titre de député réformiste, a déposé à la Chambre des communes un projet de loi qui allait inspirer la fameuse Loi sur la clarté de Stéphane Dion? Qu'il a prononcé, à la même époque et au même endroit, un discours niant la théorie des deux peuples fondateurs? Qu'il a répété à plusieurs reprises, avant de devenir chef du Parti conservateur, que le français n'était pas menacé au Québec et que, s'il laissait l'Assemblée nationale légiférer dans le domaine linguistique, ce serait toujours, bien sûr, en lui imposant la chape de plomb de la Charte des droits?

Se souvient-on que Harper, alors qu'il dirigeait, à la fin des années 90, la National Citizen's Coalition, un groupe de pression néolibéral, « a recueilli des fonds pour soutenir la cause des parents francophones du Québec qui voulaient pouvoir envoyer leurs enfants à l'école anglaise » et qu'il a appuyé la croisade de l'avocat Brent Tyler contre l'affichage à prédominance française?
Peut-on croire aux sympathies pro-québécoises de Harper quand on sait qu'il a quitté le Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney pour participer à la fondation du Reform Party de Preston Manning en réaction à deux événements, c'est-à-dire l'octroi du contrat d'entretien des CF-18 à la compagnie québécoise Canadair plutôt qu'à l'entreprise Bristol de Winnipeg ainsi que le fameux accord du Lac-Meech?

Harper, en effet, s'opposait au concept de « société distincte » appliqué au Québec dans ce dernier document, de même qu'au statut spécial accordé au Québec par l'accord de Charlottetown parce qu'il dérogeait au principe de l'égalité des provinces. Un ami du Québec, cet homme qui accordait du crédit aux thèses du boutefeu Peter Brimelow, auteur d'un essai intitulé The Patriot Game, dans lequel il affirme que la culture politique interventionniste québécoise nuit au rapprochement entre Américains et Canadiens et que la partition du Québec, en cas d'indépendance, serait souhaitable?

Le Canada rêvé de Stephen Harper, selon Dubuc, est un Canada états-unien qui foule aux pieds la culture sociopolitique du Québec. C'est, on le constate de plus en plus, un Canada militariste qui fait fi de « l'opposition traditionnelle du Québec aux guerres qu'il juge impérialistes ». Harper, par exemple, voulait que le Canada soit en Irak aux côtés des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Le fait que 70 % de la population québécoise soit contre la guerre en Afghanistan ne lui fait pas un pli.

La pertinence de cette intervention continue, bien sûr, de susciter les débats, même à gauche. Pour un Dubuc qui la rejette en affirmant qu'elle ne contribue en rien à protéger le Canada du terrorisme, qu'elle a nui à la lutte contre les barons de la drogue et qu'elle ne saurait libérer les femmes et les enfants afghans puisqu'elle s'appuie sur ceux qui les oppriment, on trouve un Gil Courtemanche dont l'argumentation favorable à l'intervention est assez solide.

N'empêche. force est de constater que, dans ce dossier comme dans les autres, l'opinion majoritaire québécoise ne pèse pas lourd aux yeux de Stephen Harper.

Fondamentalisme religieux

Évangéliste presbytérien, le premier ministre du Canada « n'est pas lui-même un fondamentaliste religieux », écrit Pierre Dubuc, mais il subit néanmoins l'influence de ce courant de pensée. Plusieurs de ses mentors « accordaient beaucoup d'importance à la religion » et deux de ses ministres les plus importants, Stockwell Day et Vic Toews, professent un conservatisme inspiré par le fondamentalisme religieux issu du sud des États-Unis.

Dans un intéressant chapitre où il résume le credo de cette mouvance - idéologie pro-vie, croisade antidarwiniste, élucubrations au sujet de l'Antéchrist, culte de la responsabilité individuelle dans l'entreprise de rédemption -, Dubuc montre aussi l'influence de cette droite religieuse au Canada, particulièrement dans l'ouest du pays et dans les rangs des militants conservateurs. Inutile de préciser que, là encore, la culture sociopolitique du Québec ne trouve pas son compte.

Que dire, enfin, du parti pris de Harper en faveur des intérêts pétroliers, sinon qu'il rejoint et sert bien celui du tandem Bush-Cheney, prêt à tout, même à chauffer le poêle planétaire jusqu'à l'insoutenable, pour satisfaire les barons nord-américains de l'or noir? Pour permettre l'exploitation des sables bitumineux de l'Athabaska en Alberta, un désastre écologique appréhendé, Harper, on le sait, a renié le protocole de Kyoto. Le Québec, pendant ce temps, reçoit « un droit d'intervention limité [à l'UNESCO] qui peut lui être retiré quand ça ne fait plus l'affaire du Canada ».

Comment expliquer, alors, la relative popularité d'un semblable adversaire du Québec au Québec même? Serions-nous trop sensibles au dernier chanteur de pomme venu, comme le suggérait Michel David il y a quelques mois? Avec Le Vrai Visage de Stephen Harper , Pierre Dubuc fait le pari qu'en découvrant l'obsédé militaire, le compagnon de route des fondamentalistes religieux, l'homme de main des pétrolières, l'ami des possédants et le penseur anti-Québec derrière la nouvelle façade de respectabilité du chef conservateur, les Québécois reviendront à la raison et au combat. On se le souhaite.

Pierre Dubuc, Le Vrai Visage de Stephen Harper, Éditions Trois-Pistoles, 2006, 180 pages.



Pour en savoir plus, lire la série de 6 articles de Pierre Dubuc,
Qui est Stephen Harper ?

1) “Qui est Stephen Harper ?” l'Aut Journal, 29 mars 2006.

À la surprise générale, son parti a remporté dix sièges au Québec et sa cote de popularité est à la hausse. Hier partisan de la ligne dure à l’égard du Québec, il se fait aujourd’hui l’avocat d’un « fédéralisme d’ouverture » et promet au Québec une représentation à l’UNESCO et le règlement du « déficit fiscal ». Mais qui est Stephen Harper, quelle est son idéologie, sa conception du fédéralisme canadien, sa position sur la question nationale québécoise ?

2) “Stephen Harper, l'homme de droite”. [ 29 mars 2006 ]. l'Aut Journal. Deuxième article d’une série de six articles, intitulée « Qui est Stephen Harper ? »

Stephen Harper est né à Toronto. Élève studieux, brillant, il entreprend des études à l’Université de Toronto, mais abandonne après quelques mois, faute de perspectives claires. Il déménage à Edmonton où il se retrouve à l’emploi de l’Imperial Oil, tout comme son père qui est comptable pour la pétrolière à Toronto. Après deux ans, il déménage à Calgary où on lui offre de devenir responsable du système d’ordinateurs de l’entreprise.
3) “Stephen Harper et la question du Québec”. [ 2 avril 2006 ]. l'Aut Journal. Troisième article d’une série de six articles, intitulée « Qui est Stephen Harper ? »

William Johnson nous apprend dans Stephen Harper And the Future of Canada (McClelland & Stewart) que le point de vue de Stephen Harper sur le Québec s’est forgé à partir de ses discussions avec son grand ami John Weissenberger, un Montréalais de naissance, que Harper a rencontré à l’Université de Calgary en 1984 où Weissenberger venait de s’inscrire pour un doctorat en géologie après avoir compléter une maîtrise en français à l’École Polytechnique de Montréal.

4) “Stephen Harper et la question linguistique”. [ 6 avril 2006 ]. l'Aut Journal. Sixième et dernier article d’une série intitulée "Qui est Stephen Harper ?"

Bien que personne ne soit dupe des motivations politiques qui amènent Stephen Harper à débuter aujourd’hui tous ses discours en français, il n’en demeure pas moins que les Québécois apprécient sa relative maîtrise de la langue de Molière.

5) “Stephen Harper, père de la Loi sur la Clarté”. [ 6 avril 2006 ]. l'Aut Journal. Sixième et dernier article d’une série intitulée "Qui est Stephen Harper ?"

Au Québec, on attribue généralement la paternité de la Loi sur la Clarté à Stéphane Dion. L’universitaire devenu député est identifié au Plan B – la ligne dure à l’égard du Québec – avec le recours du gouvernement fédéral devant la Cour suprême et, par la suite, la Loi sur la Clarté qui prescrit, dans l’éventualité d’un nouveau référendum, une « majorité claire » à une « question claire ».

6) “Le Canada de Stephen Harper”. [ 6 avril 2006 ]. l'Aut Journal. Sixième et dernier article d’une série intitulée "Qui est Stephen Harper ?"

Qui aurait parié, lors de la naissance du Reform Party en Alberta en 1987, qu’un de ses membres fondateurs deviendrait une vingtaine d’années plus tard premier ministre du Canada ? Qui aurait cru que les valeurs de la droite économique, sociale et religieuse seraient sur le point de devenir les valeurs dominantes du Canada? Pourtant, telle est bien la signification historique du discours du Trône prononcé aujourd’hui par le premier ministre Stephen Harper.

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Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 23 juillet 2006 15:41
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue