- BEAUCHAMP (André), "La transformation des valeurs" in revue LACTION NATIONALE, vol. 83, no 9, novembre 1993, pages 1248 à 1265.
«La saga de la cigarette montre aussi les hauts et les bas de la fluctuation des valeurs. Jusqu'à la fin des années soixante, la cigarette hautement valorisée dans les films (le guerrier mourait en fumant son dernier joint) était interdite - parfois sous peine d'expulsion - dans les collèges. On disait que c'était dangereux pour la santé, inconvenant, grossier, surtout pour une femme, etc. Après 1960, la cigarette est devenue un mode de vie essentiel, une revendication fébrile de liberté et tous les locaux de cours surtout à l'université, se sont convertis en véritables fumoirs, au détriment de bien des santés. Le fumeur avait tous les droits et personne ne pouvait même penser que le non-fumeur put avoir des droits. Il n'avait qu'à sortir. Puis sont venus les questionnements écologiques et la revendication des droits des non-fumeurs. À force de démonstrations et d'études, on a convenu de la nocivité de la cigarette sur la santé et sur l'environnement, faisant du fumeur un agresseur, du non-fumeur une victime. Nous sommes maintenant au bout du pendule et cela nous donne le spectacle de fonctionnaires traqués qui fument en cachette dans les toilettes ou qui sortent dehors en plein hiver pour s'adonner à leur vice. Certains doivent même subir des suspensions pour avoir fauté. Profiteur, lÉtat taxe à qui mieux, mais les délinquants fraudent et la contrebande se répand. Beaucoup pensent que les économies de taxes des Québécois se transforment en armes du côté des réserves amérindiennes. Dans l'éthique d'aujourd'hui, fumer est un mal (contre soi, contre autrui, contre la nature), ce qui n'empêche pas les adolescents, et me semble-t-il surtout les adolescentes, de se mettre à fumer plus que leurs aînés. Le risque de la cigarette ne pèse pas lourd quand l'acte de fumer vous confère un statut de contestataire aux yeux des pairs.
Bélanger (Jean-Pierre) et Desrosiers (Gilles), Nouvelles orientations des politiques sociales pour une SOCIÉTÉ EN MUTATION. Éléments de diagnostic et de solution. Octobre 1996 Chapitre 1, pp. 9 à 27. Québec, Gouvernement du Québec, Ministère de la santé et des services sociaux, octobre 1996, 71 pages.
«La société québécoise n'échappe pas aux mouvements de fond qui affectent l'ensemble des sociétés occidentales. Non seulement faut-il mieux comprendre ces changements pour essayer de mieux s'y ajuster, mais il faut aussi se rendre compte qu'ils échappent en bonne partie à notre contrôle. C'est le cas, par exemple, des bouleversements quentraîne la mondialisation des marchés. D'autres problèmes nous semblent davantage endogènes, comme, par exemple, les taux élevés de chômage chez les jeunes adultes, et ce n'est sûrement pas un hasard si la majorité des autres sociétés occidentales sont aussi touchées par les mêmes problèmes. Mais il n'y a pas non plus que des problèmes. Il y a aussi des signes d'espoir, comme l'extraordinaire vitalité dont fait preuve le mouvement communautaire dans plusieurs secteurs et le dynamisme nouveau de l'entrepreneurship chez une partie des jeunes.
«Mais on ne peut mieux comprendre ces développements positifs qu'en appréhendant le mieux possible la réalité des problèmes sociaux et des dynamiques sociales qui ont favorisé leur émergence, car dans la mesure où il s'agit de nouveaux moyens d'adaptation à une réalité nouvelle, ils n'auraient vraisemblablement pas vu le jour s'il n'y avait pas eu nécessité de s'adapter. Ce qui ouvre aussi la porte à une autre réalité qu'il faut évaluer en fonction de ses conséquences et des personnes qu'elle touche: ceux et celles qui réussissent moins bien cette adaptation et qui risquent d'être exclus à des degrés divers du courant majoritaire de la société.
«Mais la nécessité semble parfois devenir mère de l'invention et de l'innovation. Par exemple, on retrouve d'un côté la croissance des taux de divorce, l'augmentation des familles monoparentales qui s'ensuit, de même que le risque que celles-ci se retrouvent à l'aide sociale, un fort taux de décrochage et la fermeture d'écoles de quartier. De l'autre, on assiste à la création de nouveaux réseaux sociaux et économiques (cuisines collectives, maisons de quartier, haltes-garderies), à la mise sur pied de maisons et de regroupements de jeunes, etc.
«Ces développements ne doivent pas nous empêcher de faire le bilan de la situation globale. Or, le véritable moyen de tester les politiques publiques et les mouvements communautaires demeure le résultat final: le nombre de chômeurs, de laissés-pour-compte, d'exclus, la croissance des inégalités, etc. Et, à ce niveau, le bilan est loin d'être positif.
Guérard (François), Histoire de la santé au Québec. Collection "Boréal Express, no 15". Montréal: Éditions du Boréal-Express, 1996, 126 pages.
1- La santé aux XVIIe et XVIIIe siècles (une situation sanitaire difficile; des mesures d'hygiène publique ponctuelles; les premiers hôpitaux; des praticiens à la formation généralement limitée);
2- 1800-1885: une première réorganisation du champ sanitaire (mesures temporaires pour la lutte contre les maladies contagieuses; diversification des services hospitaliers; organisation de la profession médicale; les nouveaux organismes responsable de la santé publique);
3- 1886-1918: genèse d'un système de santé publique (la mise sur pied d'un système d'hygiène publique; la modernisation des hôpitaux; des médecins mieux organisés);
4- 1919-1939: développement de la médecine préventive (la réorganisation des priorités dans le domaine de l'hygiène publique; l'État et les mesures socio-sanitaires; la professionnalisation des infirmières);
5- 1940-1960: la médecine hospitalière devient dominante (un bilan sanitaire renouvelé; la médecine curative en institution prend le pas sur la médecine préventive; un système de santé de plus en plus critiqué);
6- 1961-1980: l'ère des réformes (la prise en charge par l'État; la santé mentale et la désinstitutionnalisation; les professions de la santé);
7- 1981 à aujourd'hui: les remises en question (l'état de santé actuel des Québécois; le contrôle des dépenses; la croissance de la demande; les objectifs non atteints et le secteur communautaire; autres problèmes; l'insatisfaction face à la médecine institutionnelle et le foisonnement des thérapies parallèles; des réformes en cours
).
GUINDON (Hubert), "Chronique de l'évolution sociale et politique du Québec depuis 1945"* in Cahiers de recherche sociologique, no 30, 1998 (pp. 33 à 78). Montréal : département de sociologie, UQAM.
«Ce texte se veut surtout une narration descriptive de l'évolution du contexte social du Québec durant la seconde moitié du XXe siècle. Or une telle entreprise fait face à deux embûches.
La première est liée à la préoccupation de bien paraître: c'est là un trait commun à tous les individus à l'intérieur de leurs groupes d'appartenance respectifs, commun aussi aux groupes d'appartenance eux-mêmes, qu'il s'agisse de la famille, du village, d'une nation, d'un pays. Ce trait existe probablement dans toutes les cultures, et peut-être bien depuis l'aube de l'humanité. De la même manière, une telle préoccupation caractérise les membres d'une génération par rapport à l'image que s'en fait la génération qui lui succède. Everett C. Hughes s'est employé à faire comprendre que si le passé imparfait, grammaticalement parlant, coïncidait avec le passé récent, il arrivait assez souvent que cet "imparfait" récent soit également vrai sociologiquement parlant.
«La seconde embûche est liée à la première et vient de ce qu'il est toujours possible que l'observateur extérieur n'ait pas compris ou ait mal compris la réalité qu'il prétend analyser, précisément parce qu'il n'en fait pas partie, et qu'il prête ainsi le flanc à la critique et que sa volonté de bien paraître en prenne un coup. Il est vrai que l'observateur du dedans est piégé du fait d'appartenir à la réalité qu'il observe, par ses appartenances personnelles: appartenance à une profession, à un groupe d'âge, à un groupe ethnique, appartenance ou opposition religieuse, piégé encore par ses positions idéologiques, son identité sexuelle, sans oublier ses ambitions personnelles, ses solidarités spontanées et celles qui sont professionnellement requises, son orientation sexuelle, sa biographie et combien d'autres choses encore. Et si l'on ajoute à cela le fait que presque tous ces éléments d'identité sont des constructions sociales progressives susceptibles de mutations, il paraît sage de se comporter comme le citoyen dont parle Hannah Arendt, lorsqu'il s'adresse à ses pairs, et d'introduire son discours en disant: De mon point de vue, il me semble à moi. Il s'agit donc évidemment alors d'opinion et non de science. La science d'aujourd'hui, surtout en sciences sociales, semble condamnée à devenir l'opinion d'autrefois.
«Cela dit, il n'est pas question d'éviter de dire ce qui puisse choquer. Il reste que c'est l'observateur marginal qui est le plus susceptible de dire franchement le fond de sa pensée, car sa marginalité même le protège autant des foudres que des flatteries des puissants ou de son entourage auquel il ne s'est jamais pleinement intégré. Hannah Arendt s'attendait à ce qu'il y ait parmi les intellectuels des "parias conscients", et non seulement des "parvenus", et elle accordait sa confiance plus aux premiers qu'aux seconds. Sur la question juive de la fin du siècle dernier en France, par exemple, elle préférait nettement Le fumier de Job de Bernard Lazarre à L'antisémitisme de Jean-Paul Sartre.
«Cet essai est donc une lecture personnelle du passé récent québécois à l'imparfait - par un sociologue seul qui n'a pas, de plus, l'intention de faire une revue de tout ce qui s'est écrit en sociologie sur le Québec. La méthode utilisée sera simple et basée principalement sur la mémoire défaillante d'un vieillard qui se remémore ce dont il a été témoin et qui en fait une narration descriptive, d'où le terme "chronique" dans le titre de cet essai. Ce n'est pas une narration d'événements, mais une narration des enjeux successifs qui ont traversé la société québécoise depuis la Seconde Guerre mondiale.
Langlois (Simon), Tendances de la société québécoise 1999. Version finale de Que99.doc (3 septembre 1998), 24 pages. : http://www.soc.ulaval.ca/profs/langlois/. Toutes les données contenues dans ce texte, de même que les tableaux (en version intégrale) ayant servi à la construction des graphiques, sont accessibles en format PDF ( Portable Document Format / Acrobat Reader), sur Internet à ladresse suivante : http://www.soc.ulaval.ca/tendances/
Langlois (Simon), "Culture et rapports sociaux: trente ans de changements", in revue ARGUS, hiver 1992, vol. 21, no 3, pp. 4-10 (Directeur de la recherche, Institut québécois de la recherche sur la culture et professeur titulaire au Département de sociologie de l'Université Laval).
«La société québécoise a connu depuis plus de trente ans dimportants changements. Nous passerons rapidement sur certains dentre eux: o vieillissement, o diversité culturelle, o ouverture au monde par le biais de la circulation des biens, des idées et des personnes. Dautres changements sont moins bien connus, tels que o les effets de générations et o la détérioration de la situation relative des jeunes, o la mutation des modes de vie, qui est source de nouvelles différences sociales, et o la diversité accrue des comportements. De nouveaux traits culturels émergent, lun des plus marquants étant sans aucun doute o limportance accordée à la personne. Ce texte ne prétend pas être exhaustif; tout au plus, essaie-t-il de fixer quelques idées pour baliser la compréhension des changements en cours.
La Révolution tranquille a été porteuse d'une utopie: celle de construire une société moderne, prospère, ouverte au changement. On a prétendu que cette société avait tourné le dos à la tradition et à son passé - malgré les injonctions qu'appelle la devise officielle, Je me souviens - afin de s'engager dans la voie de transformations qui sont apparues radicales à plus d'un. Avec le recul du temps, il apparaît que ces changements n'ont pas été propres au Québec, loin de là. D'autres sociétés les ont vécus avec à peu près autant d'intensité, comme l'indiquent les premiers travaux d'une analyse comparée portant sur le Québec, la France, lAllemagne et les États-Unis.
«Nous nous limiterons, dans les pages qui suivent, à esquisser quelques changements en cours au Québec, exposé qui servira en quelque sorte d'introduction au présent numéro. Les changements dont nous traiterons ici ne manquent pas ou ne manqueront pas en effet de toucher les bibliothèques et les centres de documentation de même que les bibliothécaires eux-mêmes. Cette analyse sera loin d'être exhaustive. Nous avons plutôt choisi d'aborder cette question vaste du changement socioculturel à partir de quelques coups de sonde portant sur différentes dimensions, depuis des éléments de morphologie sociale, les rapports sociaux, les représentations sociales et les valeurs. On terminera par un bref examen d'une question centrale: la société contemporaine devient-elle plus homogène, ou au contraire. évolue-t-elle vers une plus grande diversité ?
Ouellet (Danielle), "Repères pour une société en mutation", in revue FORCES, no 100, hiver 1992-1993, pages 15 - 20. Une entrevue avec Guy Rocher, sociologue.
«Homme daction et de réflexion, Guy Rocher a partagé sa vie entre la sociologie appliquée et le silence des bibliothèques universitaires. Passionné par les liens sociaux depuis son enfance, il a été de tous les grands changements de la société québé-coise depuis quarante ans, que ce soit à titre d'acteur ou d'observateur attentif.
«Après ses études en sociologie à l'Univer-sité Laval de Québec, Guy Rocher est recruté comme professeur par le père Georges- Henri Lévesque, l'âme de la faculté de sociologie de cette uni-versité. Il poursuit ensuite des études supérieures à l'Université Harvard, aux États-Unis, où il s'inté-resse à la sociologie de la religion et découvre l'univers de la pensée allemande et de la pensée britannique. Il revient à l'Université Laval où son engage-ment social est alors celui d'un uni-ver-si-taire qui s'emploie à créer au Québec une science sociale critique de la société.
«Avec la Révolution tranquille, les institu-tions sont appelées à changer. Guy Rocher participe, pendant cinq ans, à la Commission Parent sur la réforme de l'enseignement. La réflexion déborde le cadre de l'éducation et les membres examinent en profondeur l'ave-nir du Québec.
«Sa mission accomplie, il se retire à nou-veau dans la solitude des bibliothèques universitaires, en Californie d'abord, puis à l'Université de Montréal. Il n'en sortira qu'en 1977 pour accepter un poste au gouver-nement à Québec. Il est aujourd'hui professeur-chercheur au Centre de recherche en droit public de la faculté de droit de l'Université de Montréal.
Dernière mise à jour de cette page le Samedi 24 janvier 2004 16:17
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue