- A) Les valeurs (concept sociologique)
B) Les valeurs des Québécois
- Bouglé, Célestin (1870-1940), [sociologue français],
Leçons de sociologie sur l'évolution des valeurs (1922). Paris : Armand Colin, 1922, 298 pages.
Quest-ce que lesprit français : vingt définitions choisies et annotées (1920). Paris : Librairie Garnier Frères, 1920, 68 pages. Brochure. Cours de civilisation française à l'usage des étudiants étrangers - Lettres - Droit. Session d'hiver et d'été 1920-1921.
Fichter (Joseph-H.) (1957), "Les valeurs", in LA SOCIOLOGIE. NOTIONS DE BASE. Chapitre XIII (pages 181 à 193). Traduit de l'Anglais. Paris: Éditions universitaires, 1965, 264 pages.
"Peut-être aucun sujet n'a-t-il provoqué parmi les sociologues autant de controverses que l'étude des valeurs. Leur effort pour se comporter comme des savants dégagés des valeurs a parfois induit à suggérer que les valeurs sont dépourvues de réalité, qu'elles ne peuvent être étudiées sans qu'y soient impliquées les valeurs personnelles de celui qui se livre à l'étude, ou encore que ce sont des entités psychologiques et éthiques, qui échappent à l'orbite de la science sociale. Actuellement, cependant, les sociologues admettent généralement que les valeurs sont des faits sociaux importants et qu'elle -peuvent être soumises à l'étude et à l'analyse scientifique.
"L'emploi d'une définition descriptive au lieu d'une définition strictement logique a introduit la confusion dans l'examen des valeurs sociales. D'une façon descriptive nous pouvons dire que tout ce qui est utile, désirable ou admirable pour la personne ou pour le groupe " a une valeur ". Devons-nous dire, dès lors, que la chose en elle-même ne constitue pas une valeur mais seulement qu'elle contient une valeur ? Par exemple, l'éducation est-elle elle-même une valeur sociale, ou sa valeur réside-t-elle dans sa capacité de satisfaire certains besoins sociaux fondamentaux ? Dans la réalité, évidemment, l'importance d'un objet se reporte sur l'objet lui-même, si bien que l'éducation n'est pas seulement appréciable socialement, mais en outre elle constitue une valeur sociale. Le sociologue, qui puise ses données parmi les hommes en société, constate que dans l'esprit des gens une certaine " valeur " est attachée à l'éducation.
"Il y a donc trois éléments à considérer dans l'examen des valeurs sociales : a) l'objet lui-même, qui est une valeur, b) la capacité de l'objet de satisfaire des besoins sociaux et c) l'appréciation que l'on porte sur cet objet et sur sa capacité de donner satisfaction. Rappelons ici que le même objet peut recevoir différentes définitions suivant les divers aspects que l'on y considère. Nous avons vu que des uniformités répétées de comportement peuvent aussi être regardées comme des normes ou des modèles de comportement. De même nous pouvons dire que certains objets " dignes de valeur ", tels que les gens les jugent dans une société, sont à la fois des valeurs sociales et des critères de valeurs sociales.
"Du point de vue sociologique les valeurs peuvent être défi nies comme les critères d'après lesquels le groupe ou la société jugent l'importance des personnes, des modèles, des buts et des autres objets socioculturels. Nous ne nous intéressons pas ici directement à la valeur intrinsèque de ces choses ni à l'évaluation qu'en fait personnellement un individu.
B- Les valeurs des Québécois
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- BEAUCHAMP (André), "La transformation des valeurs" in revue LACTION NATIONALE, vol. 83, no 9, novembre 1993, pages 1248 à 1265.
"La saga de la cigarette montre aussi les hauts et les bas de la fluctuation des valeurs. Jusqu'à la fin des années soixante, la cigarette hautement valorisée dans les films (le guerrier mourait en fumant son dernier joint) était interdite - parfois sous peine d'expulsion - dans les collèges.
"On disait que c'était dangereux pour la santé, inconvenant, grossier, surtout pour une femme, etc.
"Après 1960, la cigarette est devenue un mode de vie essentiel, une revendication fébrile de liberté et tous les locaux de cours surtout à l'université, se sont convertis en véritables fumoirs, au détriment de bien des santés. Le fumeur avait tous les droits et personne ne pouvait même penser que le non-fumeur put avoir des droits. Il n'avait qu'à sortir.
"Puis sont venus les questionnements écologiques et la revendication des droits des non-fumeurs. À force de démonstrations et d'études, on a convenu de la nocivité de la cigarette sur la santé et sur l'environnement, faisant du fumeur un agresseur, du non-fumeur une victime. Nous sommes maintenant au bout du pendule et cela nous donne le spectacle de fonctionnaires traqués qui fument en cachette dans les toilettes ou qui sortent dehors en plein hiver pour s'adonner à leur vice. Certains doivent même subir des suspensions pour avoir fauté. Profiteur, lÉtat taxe à qui mieux, mais les délinquants fraudent et la contrebande se répand. Beaucoup pensent que les économies de taxes des Québécois se transforment en armes du côté des réserves amérindiennes.
"Dans l'éthique d'aujourd'hui, fumer est un mal (contre soi, contre autrui, contre la nature), ce qui n'empêche pas les adolescents, et me semble-t-il surtout les adolescentes, de se mettre à fumer plus que leurs aînés. Le risque de la cigarette ne pèse pas lourd quand l'acte de fumer vous confère un statut de contestataire aux yeux des pairs.
Groupe québécois de prospective, "Les valeurs", in LE FUTUR DU QUÉBEC AU CONDITIONNEL, chapitre 4 (pp. 63-88). Montréal : Gaëtan Morin, Éditeur, 1982, 256 pp.
"L'analyse des "valeurs" québécoises constitue assurément la partie la plus difficile de l'étude prospective du système socio-économique, car il s'agit à la fois d'un sujet imprécis et normatif. Imprécis, car tout ce qui n'est pas facilement traitable au sein des autres sous-systèmes se retrouve ici; c'est un peu le fourre-tout dans lequel on a mis les éléments qu'on pouvait difficilement retenir dans les sous-systèmes extérieur, écologique, économique, technolo-gique ou urbain et régional. C'est aussi le domaine où les études déjà réalisées sont les plus contestées ou du moins les plus contradictoires: les données disponibles dans ce cas sont soit absentes, soit fragmentaires, soit encore très volatiles selon les événements ou les circonstances en cours. Normatif, car non seulement l'analyse traite précisément de perceptions, d'évaluations, de coutumes, d'idées, bref de croyances subjectives au niveau de l'objet étudié - la société québécoise - mais c'est aussi le lieu privilégié où se retrouvent tous les jugements de valeur que les chercheurs ont essayé de mettre de côté en abordant les autres sous-systèmes.
"Pourtant, ce sous-système de valeurs prend une importance particulière du fait qu'il est à la base de la spécificité du Québec, alors que la plus grande partie de l'économie, de la technologie, et jusqu'à un certain point de l'aména-gement du territoire ressemble beaucoup à ce qui se passe ailleurs en Amérique du Nord. En d'autres termes, si l'économie québécoise est un rejeton de l'économie de l'Angleterre du XIXe siècle et plus tard des États-Unis, si le sous-système technologique continue à être presque entièrement redeva-ble de nos voisins du Sud, si nos villes sont remarquées par le gratte-ciel ou le bungalow américains, et sont délimitées par les possibilités de l'automobile américaine, les valeurs, au contraire, à cause des différences linguistiques ou de divers aléas historiques, sont à la base même des différences de cette société. Comme le dit Robert Charlebois, nous sommes "Presqu'Amérique", et notre particularité existe avant tout au niveau des valeurs.
Dernière mise à jour de cette page le Vendredi 16 janvier 2009 07:20
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue