- A) La culture (concept sociologique)
B) La culture québécoise
- Balandier (Georges), "Culture plurielle, culture en mouvement" in ouvrage sous la direction de Daniel Mercure, La culture en mouvement. Nouvelles valeurs et organisations, ( pages 35 à 50 ). Collection "Sociétés et mutations". Québec, Les Presses de lUniversité Laval, 1992, 314 pages.
"Au départ, une question qui peut sembler d'ordre grammatical: faut-il user du singulier ou du pluriel ? Est-il déjà possible de reconnaître une culture en voie de se faireen cours d'universalisation, sans que ce soit une uniformisation de surfaceou, à l'inverse, des cultures ravivées par la conjugaison d'un héritage particulier et d'une modernité génératrice de mouvement et d'inédit ?
"La question n'est pas simplement formelle. Elle renvoie à des oppositions fondamentales dans le champ des sciences sociales; et notamment à celles qui opposent la société et les individus, ou encore, la société unifiée, subordonnant tous ses éléments, et la société en production continue, toujours en inachèvement. La question est aussi (surtout) de nature politique. L'affirmation d'unité, de la suprématie de l'unité, peut avoir partie liée avec les formes totalitaires, qu'il s'agisse d'une unité théologiquement fondée, gérée par une religion d'État et exclusive, ou idéologiquement imposée et bureaucratiquement maintenue, réalisée par les totalitarismes modernes, ou d'une unité déjà constituée par le marché (ou en formation) dans le cadre d'une " économie monde " à contrôle unique ou directorial. Dans le domaine du politique, la reconnaissance du pluriel s'allie à la démocratie, à la multiplicité du social et des relations et " associations " qui l'expriment, à certaines formes de l'individualisme. Et aussi à la reconnaissance des nations et des cultures qui leur sont liées - dans toute leur diversité.
"Pour ce qui est de la culture - porteuse du sens pour les individus et les collectifs, pourvoyeuse de " modèles " directeurs et de moyens, et liant social -, il importe de rappeler qu'elle sert à la fois l'unité et la pluralité. Elle opère en oscillation entre ces deux extrêmes: celui de la culture assimilatrice qui " digère " les particularités, celui de la culture plurielle qui maintient les coexistences au prix d'une unité affaiblie.
Le rappel est simplificateur, mais il est nécessaire; il nous impose une constante: le continuel " débat " et le continuel jeu de forces entre unité et diversité ou pluralité.
Commelin, Pierre (1837- ), Mythologie grecque et romaine. Édition illustrée de nombreuses reproductions. Paris: Éditions Garnier et Frères, 1960, 516 pages. 65 illustrations.
Fichter (Joseph-H.) (1957), "La culture" in LA SOCIOLOGIE. NOTIONS DE BASE. Chapitre XII (pages 169 à 178). Traduit de l'Anglais. Paris: Éditions universitaires, 1965, 264 pages.
" Culture " est encore un terme, ayant un sens technique en science sociale, dont il est fait un grand usage avec diverses significations non techniques (1). On dit parfois qu'une personne cultivée est quelqu'un qui a du raffinement et des bonnes manières, qui reconnaît et goûte les aspects délicats et esthétiques de la vie. En ce sens restreint la culture peut être possédée par les personnes relativement peu nombreuses qui ont le loisir, la fortune, la compétence et l'intérêt qu'il faut pour se livrer à ces genres de raffinement.
"C'est un fait sociologique que toute personne normale, dans la société, " a de la culture ". Comme nous l'avons vu, chacun passe par le processus de socialisation. Depuis l'enfance chacun commence à apprendre à s'accommoder aux schèmes conceptuels et externes de comportement qui sont socialement acceptables. On s'exerce à remplir des rôles sociaux, on est toujours engagé en des relations sociales. Chacun est une personne cultivée et doit nécessairement l'être comme participant à des groupes et à la société totale. Ainsi donc, la définition scientifique de la culture ne saurait s'appliquer seulement aux quelques personnes fortunées qui forment les Couches supérieures de la société.
Giner (Salvador), "La culture et le processus de socialisation" in INITIATION À L'INTELLIGENCE SOCIOLOGIQUE. Chapitre IV: (pages 73 à 88). Collection "Regard". Privat, éditeur, 1968, 207 pages.
"Les hommes vivent en société, non parce qu'ils sont des hommes, mais parce qu'ils sont des animaux. L'apparition du mode social de vie a été un stade à l'intérieur de l'évolution biologique préalable à l'apparition de l'être humain. La seule chose que nous puissions dire de l'homme, c'est qu'il a porté ce mode de vie à un degré d'élaboration beaucoup plus élevé que celui de l'espèce animale non humaine la plus complexe. Fondamentalement, cependant, la société humaine continue à reproduire les caractéristiques de population, de spécialisation, de solidarité et de continuité que nous trouvons dans n'importe quelle autre société. La connaissance des principes de la sociologie animale est, par là, nécessaire à la sociologie humaine. À côté de la conduite instinctive, quelques espèces animales possèdent des con-duites apprises dans l'interaction - classe, langage - et à travers l'imitation. De la même façon que l'explication purement biologique ne suffit pas pour comprendre les sociétés animales, une sociologie qui ne tiendrait pas compte du substrat animal de la société humaine serait inacceptable. Fondamentalement, la familiarisation du sociologue avec l'étude de la vie sociale des primates est nécessaire. À côté de cela, il faut connaître les processus de l'évolu-tion humaine depuis l'époque des sub-homminiens, c'est-à-dire le bas Pléistocène, jusqu'à l'apparition de l'homo sapiens. Les processus évolutifs des êtres qui furent nos ancêtres, leur conduite, le développement de leur intelligence, leur anthropologie physique - et la nôtre - sont une source de renseignements indispensables si nous voulons discerner correctement la nature sociale de l'homme d'aujourd'hui. Cela nous aide surtout à ne pas abstraire de sa condition animale sa conduite, ses aspirations, ses passions et ses croyances.
"Il y a, toutefois, un fait capital qui sépare la société humaine de celle des animaux. Ce fait, c'est la culture, trait particulier à l'homme, différent de la nature biologique, bien qu'il se trouve de façon très rudimentaire dans telle espèce animale, et bien qu'il soit lié à la biologie et fondé sur son système nerveux particulier. L'existence de la culture, cependant, ne signifie pas que la société humaine puisse s'abstraire de sa base zoologique. Tout ce qu'on peut affirmer, c'est que la vie sociale humaine implique une biologie, sui generis, puisqu'elle se trouve culturellement modifiée. La culture est le moyen humain de satisfaire aux exigences biologiques. Pour cela, aucun phénomène intéressant la sociologie n'est entièrement biosocial ou entièrement socioculturel : les deux facteurs sont toujours présents.
König (René), "LA CULTURE" in SOCIOLOGIE (pages 87 à 91). Traduit de l'Allemand. Paris: Flammarion Éditeur, 1972, 418 pages.
"Le problème de la culture civilisation a été obéré tant dans le passé que dans la sociologie actuelle, par de nombreuses ambiguïtés; c'est en particulier que ce concept constitue entre autres un élément essentiel de la philosophie de l'histoire, dans la mesure où celle-ci s'occupe de la " destinée de la civilisation humaine ". En dépit de leurs apports (et de ceux d'auteurs antérieurs) à la sociologie, il convient de noter que le développement de la sociologie en tant que science est dû à sa séparation de plus en plus nette de ce type de philosophie de l'histoire, comme de tous les autres types (Sociologie générale). Nous n'entreprendrons donc même pas l'examen de ces conceptions, pas plus que nous n'étudierons la notion de civilisation dans les sciences de l'histoire (civilisations antiques, civilisations de la Renaissance, du Baroque, etc.). Mais il y a encore toute une série d'ambiguïtés à lever avant que nous puissions dégager une notion spécifiquement sociologique de la culture civilisation.
"En ce qui concerne la tradition sociologique allemande, qui est marquée par l'influence de nombreuses conceptions philosophiques (notamment celles du système de Hegel), elle subit en particulier l'influence néfaste de la distinction opérée par Wilhelm Dilthey (1833-1911) entre les systèmes de culture (art, science, religion, morale, droit, économie) et les formes " externes " d'organisation de la culture (communauté, pouvoir, État, Église). Cette dichotomie fut encore aggravée par Hans Freyer (1887-1969) qui distinguait les " contenus objectifs " ou " signification devenue forme ", qui sont les " formes objectivisées de l'esprit " dont l'étude relève des " sciences du logos ", de leurs " être et devenir réels " qui sont l'objet des " sciences de la réalité ". Le caractère insupportablement artificiel de cette opposition ne saurait être mieux démontré qu'en rappelant que dans cette conception, le langage lui-même est défini comme un " assemblage de mots et de significations, de formes mélodiques et de formations syntaxiques ", comme si on pouvait appréhender le langage indépendamment de l'organisation sociale des hommes qui l'emploient. Bien entendu, les langues (Langage) présentent aussi des structures intellectuelles qu'on ne peut expliquer par la sociologie sans tomber dans l'erreur du sociologisme; mais ces structures ne constituent que la moitié du problème. En outre, les entités intellectuelles objectives ne peuvent jamais être opposées au devenir social, mais seulement former avec lui une corrélation fonctionnelle dans des complexes d'action culturelle (A. Silbermann). Dilthey lui-même adoptait à cet égard une position radicalement plus ouverte, aussi bien dans ses explications réelles, opposées à son projet, que dans beaucoup d'autres occasions, comme le prouvent ses tentatives pour établir les fondements psychologiques des sciences humaines et ses tentatives périodiques pour mettre sur pied une éthologie empirique (que l'on pourrait également définir comme une science empirique de la culture). Le danger que recèle cette distinction consiste avant tout dans ce qu'elle ouvre la voie à une sorte de distinction hiérarchique à une culture <4 supérieure ", en quelque sorte proche de l'"esprit", et une culture " inférieure " ; celle-ci se confond facilement avec le concept de " civilisation " (matérielle), ce qui introduit dans toute cette approche du problème une évaluation patente. Il semble préférable de passer de ces conceptions fortement teintées de philosophie à une approche plus réaliste. Après la destruction totale de l'ancienne théorie des aires culturelles par l'ethnologie moderne, la dernière possibilité apparente de séparer certains contenus culturels de leurs rapports fonctionnels avec la société a définitivement disparu.
Lalive d'Epinay (Christian), "La religion profane de la société post-industrielle" in ouvrage sous la direction de Daniel Mercure, LA CULTURE EN MOUVEMENT. NOUVELLES VALEURS ET ORGANISATIONS, (pages 77 à 92). Collection "Sociétés et mutations". Québec, Les Presses de lUniversité Laval, 1992, 314 pages.
"Cet exposé repose sur le constat étayé par une cohorte de travaux depuis les ouvrages précurseurs de Bell (1976), de Galbraith (1958) et de Touraine (1969) de l'émergence d'une nouvelle forme sociétale, qu'on appelle post-industrielle, donc que l'on qualifie en fonction de ce qui est en voie de dépassement plutôt que des caractéristiques propres de la société émergente. Le fait de ne pas être à même de dire l'avenir ne me paraît pas le signe d'une quelconque faiblesse des sciences sociales; sans doute cet avenir est-il largement contenu dans notre présent, mais ce qui s'actualisera relève du possible, non du nécessaire; de l'enjeu, non du destin, de l'évolution des rapports de force, non d'une loi de l'histoire.
"Dès lors, que peut-on dire des valeurs centrales de cette société émergente? Plus profondément encore, quelles en seront les matrices d'imputation de sens, I'ethos au sens de Weber et d'Elias? Faisons un pas de plus. Cet ethos, si ethos il y a, peut-il être qualifié de religion civile?
"La notion de "religion civile" vient, on le sait, de l'écrit philosophique Du Contrat social de Rousseau, et a été reprise par Robert Bellah dans un article que ce spécialiste du Japon a consacré à la religion aux États-Unis (Bellah, 1967), article qui fera date, à la surprise de son auteur d'ailleurs. Le sens donné par Bellah à l'expression diffère de celui de Rousseau. Encore que Bellah n'aime pas laisser enfermer sa pensée dans les définitions, il accepte celle que propose Hammond:
"Un ensemble de symboles et de pratiques religieuses qui propose des solutions à la question de la légitimation politique et au besoin d'une éthique politique, et qui a la particularité de ne se confondre ni avec l'Église, ni avec l'État (Bellah et Hammond, 1980: XI).
"Si, en s'inspirant du Durkheim des Formes élémentaires de la vie religieuse, on considère les représentations religieuses comme paradigmatiques des "représentations collectives", on en vient alors à utiliser l'expression de "religion civile" pour désigner les valeurs et les croyances fondamentales d'une société, dont elles cimentent le lien social, dans la mesure où celles-ci sont diffuses et non pas monopolisées par un appareil organisé précis, tel l'État ou une Église (Dobbelaere, 1988: 306).
Dans la première partie, considèrera les processus de déstructuration et, dans la seconde, les formes déjà cristallisées ou en voie de structuration.
MALINOWSKI (Bronislav) (1944), UNE THÉORIE SCIENTIFIQUE DE LA CULTURE ET AUTRES ESSAIS. Collection "Les textes à l'appui". Paris: François Maspero, Éditeur, 1968, 182 pages.
ROCHER (Guy), "La notion de culture" Extraits du chapitre IV: "Culture, civilisation et idéologie", INTRODUCTION À LA SOCIOLOGIE GÉNÉRALE. PREMIÈRE PARTIE: L'ACTION SOCIALE, chapitre IV, pp. 101-127. Montréal: Éditions Hurtubise HMH ltée, 1992, troisième édition.
- "Étant donné que la signification attri-buée aujourd'hui au terme culture dans les sciences de l'homme est totalement étran-gère à celle que le langage courant lui prête, notamment en français, il sera sans doute utile de retracer l'évolution qu'a connue ce concept pour arriver à être celui qu'on utilise maintenant.
En anthropologie et en sociologie
"C'est à l'anthro-pologie anglaise qu'on doit cet emprunt, plus exactement à E.B. Tylor dont le volume Primitive Culture parut en 1871. S'inspirant en particulier des travaux de Gustav Klemm qui avait publié en dix volumes, de 1843 à 1852, une monumentale Histoire universelle de la culture de l'humanité, suivie de deux volumes sur la Science de la culture, Tylor en tira les élé-ments dont il avait besoin pour composer la notion de culture, qu'il employa comme synonyme de civilisa-tion. Dès le début de son ouvrage, Tylor donna une définition de la culture qui a été par la suite citée de nombreuses fois: "La culture ou la civilisation, entendue dans son sens ethnographique étendu, est cet ensem-ble complexe qui comprend les connais-sances, les croyan-ces, l'art, le droit, la morale, les coutumes, et toutes les au-tres aptitudes et habitudes qu'acquiert l'homme en tant que membre d'une société". Cette défi-ni-tion, qui est plutôt une description, présente ceci de particulier quelle se rapporte plutôt à un ensemble de faits qui peuvent être directement observés en un moment donné du temps, comme on peut aussi en suivre l'évolution, ainsi que l'a fait Tylor lui-même.
- Gagnon (Nicole) et Gould (Jean), "De lécole à l'université: quelle scolarisation ?" in ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE APRÈS 30 ANS DE CHANGEMENTS, pp. 131 à 142, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, 358 pages.
"La société québécoise n'est pas tellement satisfaite de ses institutions scolaires. On n'a qu'à tendre un peu l'oreille pour récolter tout un lot de problèmes qui le montrent bien. En haut de l'échelle de décibels, il y a la mauvaise qualité du français. On peut ajouter, avec Raymond Laliberté, que les taux de scolarisation ont beau avoir augmenté, ils restent insuffisants; ou, avec Guy Rocher, que la confessionnalité scolaire est un mensonge. Que la démocratisation n'a pas réussi à égaliser les chances; que les enfants n'aiment pas la pédagogie; que les enseignants sont brisés et ne croient plus à rien; que les élèves du secondaire se classent bons derniers dans un test international de connaissances scientifiques; que l'enseignement de la philosophie au cégep est un échec; que le premier cycle universitaire est trop spécialisé; qu'il y aura pénurie de scientifiques dans les prochaines années; etc., etc., etc. Et comme cerise sur le gâteau, citons Gil Courtemanche: "Le secondaire et le collégial québécois sont des crimes contre l'humanité".
"Au sein d'un tel concert, le sociologue se sent assailli par deux tentations contraires. La première, ce serait de dire qu'en fait, il n'y en a pas de problèmes. La réforme scolaire des années 1960 a consisté, sous un de ses principaux aspects, à remplacer un réseau d'institutions indépendantes par un système gérable étatiquement. Or un système, par définition, ça fonctionne par adaptation constante à son environnement. La prolifération de problèmes serait alors un symptôme de vitalité, et le fait qu'on les énonce à haute voix, le signe que le système est correctement irrigué par l'information de feedback et, qu'en somme, tout fonctionne bien. La seconde tentation, c'est le diagnostic de sida: l'école québécoise a contracté un virus de déficience immunitaire et elle ne s'en remettra pas. Prenons le temps de céder à cette seconde tentation, dans l'idée d'éclairer les enjeux actuels du "virage à l'excellence".
Harvey (Julien), s.j., "Le Québec, devenu un désert spirituel ?" in ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE APRÈS 30 ANS DE CHANGEMENTS, pp. 153 à 162, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, 358 pages.
"Les vraies révolutions, malgré les images négatives et souvent terrifiantes qui peuvent s'y associer (la Place T'ien an Men !), sont des phénomènes spirituels. Une révolution est toujours emportée par un grand rêve, par une espérance. Si donc la Révolution tranquille a été une vraie révolution, il serait regrettable de négliger de la considérer sous son angle spirituel. C'est ce que je veux tenter, au moins partiellement, à travers deux démarches: d'abord, tenter de lire ce qui s'est passé au plan de la vie spirituelle du Québec depuis trente ans, ensuite distinguer ce qui est décadence de ce qui est mutation, de façon à nous situer présentement et à amorcer une prospective.
LABELLE (Micheline) "Immigration, culture et question nationale" in CAHIERS DE RECHERCHE SOCIOLOGIQUE, no 14, "Savoir sociologique et transformation sociale", printemps 1990, pages 143 à 152. Montréal: Département de sociologie, Université du Québec à Montréal.
"La question de l'immigration est à l'ordre du jour, que ce soit au Québec, en France, en Angleterre ou ailleurs. L'internationalisation des mouvements migratoires est à la mesure de la mondialisation de l'économie et de la multiplication des diverses situations socio-politiques tendues. L'écart, qui va en s'approfondissant, entre le Nord et le Sud, et les crises économiques et sociales qui ébranlent à la fois pays développés et pays du Tiers-Monde rendent compte de l'importance qu'a prise de nos jours le problème des réfugiés tant économiques que politiques.
"Parallèlement, le discours idéologique se déplace sur le terrain de la culture. "De part et d'autre de l'Atlantique, le discours à la mode se gargarise de multi et de pluri-culturel ou encore d'interculturel, et sur un mode mineur de multiethnique et de pluralisme", note un sociologue français. En France, les débats actuels du "champ de l'immigration" portent d'une part sur l'opposition entre le droit des immigrés à affirmer leur différence (c'est-à-dire leur culture) et l'intégration par l'école, I'emploi, le logement, à une société laïque et républicaine, et d'autre part sur les mobilisations identitaires, entendre ici l'émergence du mouvement associatif chez les immigrés. La controverse sur le voile (foulard, tchador ou hidjab ) des femmes musulmanes n'est qu'un épiphénomène de ces débats. En Angleterre, la controverse oppose les tenants de politiques axées sur l'equal opportunity aux tenants du multiculturalisme et de l'antiracisme, par exemple dans le domaine scolaire où le lobby musulman exerce des pressions pour avoir des écoles séparées et subventionnées par l'État.
LABELLE (Micheline), ROCHER (François) et ROCHER (Guy), "Pluriethnicité, citoyenneté et intégration: de la souveraineté pour lever les obstacles et les ambiguïtés" in CAHIERS DE RECHERCHE SOCIOLOGIQUE, no 25, 1995, pp. 213 à 245.
"La question de la diversité ethnique se pose dans des termes spécifiques au Québec. Elle s'inscrit dans le cadre d'une société dont la langue officielle est le français et dont les politiques de gestion de la pluralité se trouvent, à bien des égards, en contradiction avec la constitution d'une identité "nationale" canadienne qui se veut multiculturelle et bilingue. Les efforts d'intégration des immigrants à une société québécoise qui présente le français comme la langue publique et qui cherche à étendre une "culture publique commune" sur cette base rencontrent des obstacles tant internes qu'externes et se butent à des ambiguïtés liées au statut politique actuel du Québec à l'intérieur du régime fédéral canadien.
"Le débat sur les conséquences sociales et politiques de l'accession du Québec au statut d'État souverain oblige à une réflexion sur la façon dont s'opère à l'heure actuelle l'intégration des immigrants à une culture publique commune qui se veut québécoise et sur les conditions nécessaires à la poursuite de cet objectif. Or il appert que cette réalité est aujourd'hui en grande partie conditionnée par la place que le Québec occupe dans le Canada et par la vision de la communauté canadienne que celui-ci propose. Le gouvernement fédéral a adopté, voilà plus de vingt ans, une politique publique articulée autour des notions de multiculturalisme et de bilinguisme. Pour sa part, le Québec s'est doté d'une politique d'intégration des immigrants à une société francophone dans le respect de la diversité ethnoculturelle. Ces deux politiques reposent sur des objectifs contradictoires impossibles à réconcilier dans le cadre politique actuel.
LACROIX (Jean-Guy). "La culture, les communications et l'identité dans la question du Québec" in CAHIERS DE RECHERCHE SOCIOLOGIQUE, no 25, 1995, pp.247 à 298. Montréal: Département de sociologie, Université du Québec à Montréal.
"Ce texte cherche à dégager le rôle central de la culture, des industries culturelles et des communications médiatiques dans le mouvement socio-historique de production et de reproduction de la société québécoise. Plus précisément, il souligne le rapport dialectique - dans le processus de reproduction de celle-ci en tant que société spécifique et distincte - entre les conditions objectives et les conditions subjectives d'action sociale et de production du sens.
"La construction de l'identité et du sentiment d'appartenance à une collectivité spécifique, quelle que soit son aire spatio-temporelle d'existence et de reproduction, et l'inscription, quelle qu'elle soit, de cette construction dans le mouvement de l'histoire ne relèvent aucunement d'une linéarité nécessaire et irréversible. Elles tiennent au contraire d'un mouvement de structuration progressive relevant d'une alternance entre, d'une part, des moments de mise en place de structures qui deviennent des conditions objectives de l'action sociale, moments qui font appel à la conscience sociale aiguë de l'identité, de l'appartenance au Nous, et, d'autre part, des moments de reproduction lente, au "fil des jours", qui ne font pas appel à une telle conscience de l'appartenance, mais qui s'appuient sur les institutions déjà en place et qui donnent au quotidien l'allure de la normalité familière, parce que les acteurs sociaux ont intégré ces conditions objectives de l'action sociale, qu'ils y ont été socialisés. Les seconds renvoient à une sorte d'écoulement socio-temporel continu conditionné par les structures en place et qui, chaque jour, reproduit celles-ci. Les premiers, par contre, constituent en quelque sorte des "goulots" de l'histoire des sociétés où l'action sociale établit des structures, des institutions, un cadre de régulation. Il en résultera une reproduction élargie des structures en place et de la dynamique sociale spécifique à une société, ou une réorientation dans une direction différente, voire opposée, par rapport à la "tendance" dominante du mouvement socio-historique jusqu'à ce moment.
"L'objet de ce texte est d'analyser l'enjeu socio-historico-politique de l'actuel contexte référendaire au Québec, c'est-à-dire de faire ressortir comment il constitue un moment de rupture en regard de l'histoire passée et de l'histoire à faire. Je veux en effet démontrer que la conjoncture référendaire forme, comme l'ont fait des moments semblables dans l'histoire de la société québécoise, un "instant" socio-historique d'ambivalence entre la reproduction élargie de la société civile québécoise en tant que société distincte et la contraction ou déstructuration institutionnelle de sa spécificité; l'ampleur et le rythme autant de la reproduction élargie que de la contraction-déstructuration institutionnelle dépendent de la capacité de cette société à mettre en place le premier terme de l'alternative ou à freiner le second.
Plourde (Michel), "Protéger la langue française: quelle langue ?" in ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE APRÈS 30 ANS DE CHANGEMENTS, pp. 119 à 130, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, 358 pages.
"Depuis la Révolution tranquille et surtout depuis vingt ans, notre sensibilité et nos attitudes linguistiques, de même que les moyens que nous avons choisis pour protéger et développer notre langue, ont évolué et changé de façon plus notable et plus profonde que pendant les quatre-vingt-dix ans qui ont séparé la Confédération de la Révolution tranquille.
"Je lisais récemment un petit livre publié il y a cent ans , à l'époque où le mot "francophone" n'existait pas encore et où le mot "Québécois" n'avait pas encore supplanté, au Québec, les termes "Canadien" et "Canadien français". Trois choses essentiellement me frappent dans le discours linguistique de l'époque. D'abord, l'horizon n'est pas le Québec, mais le Canada tout entier, voire l'Amérique: on nourrit alors le secret dessein d'une grande nation qui serait la "France catholique américaine", rien de moins! Deuxièmement, le discours déborde d'une assurance toute téméraire en la victoire de la race fondée sur les traditions catholiques et sur une remarquable fécondité. Enfin, tout se passe comme si on croyait vraiment que le pacte confédératif (encore tout récent) consacrait l'égalité des deux nations et leurs droits linguistiques respectifs.
"Mais le temps a passé, révélant de façon lancinante la dualité des relations politiques fédérales-provinciales et creusant le fossé des relations linguistiques entre anglophones et francophones. Nous nous sommes aguerris; nous sommes devenus plus réalistes; l'envolée patriotique a fait place aux études, aux constats et aux bilans; notre horizon s'est rétréci au carré du Québec - dernière chance de développement sérieux du français en Amérique -; notre taux de fécondité a connu une chute dramatique; et nous avons enfin compris que le seul moyen logique, efficace et démocratique de nous faire respecter était la loi.
Rocher (Guy), "Autour de la langue: crises et débats, espoirs et tremblements" in ouvrage sous la direction de Gérard Daigle et Guy Rocher, LE QUÉBEC EN JEU. COMPRENDRE LES GRANDS DÉFIS. Chapitre 15 "Autour de la langue: crises et débats, espoirs et tremblements" (pp. 423 à 450). Montréal: Les Presses de lUniversité de Montréal, 1992, 812 pp.
Guy ROCHER est professeur de sociologie et chercheur au Centre de recherche en droit public de l'Université de Montréal.
"Au Québec, la période 1960-1990 a été marquée plus que toute autre par la question linguistique. Cela ne veut pas dire que la langue n'était pas auparavant une préoccupation dominante, loin de là. Depuis la conquête de la Nouvelle-France par l'Angleterre jusqu'au milieu du XXe siècle, la sauvegarde de la langue française, avec celle de la foi catholique, est demeurée une priorité dans la conscience nationale des Canadiens français. Elle s'exprima surtout par la bouche des élites locales: le clergé, les membres des professions libérales, les intellectuels, souvent sur un ton angoissé devant la menace de l'anglicisation, toujours par un appel à l'amour de la langue et au dévouement pour sa survie. Mais jusqu'au milieu du XXe siècle, il n'y eut pas à proprement parler de conflit linguistique au Québec. Les Canadiens français acceptaient comme un fait irréversible la prédominance de l'anglais dans les économies canadienne et québécoise, I'unilinguisme des institutions publiques fédérales et le bilinguisme de celles du Québec, la cohabitation au Québec des réseaux francophone et anglophone dans l'enseignement, le système de santé et de bien-être, les moyens de communication. Même l'affichage unilingue anglais des commerces et des maisons d'affaires, qui régnait dans les villes et jusque dans les campagnes pourtant exclusivement francophones, était considéré comme un fait acquis.
"La Révolution tranquille allait marquer un important virage: la défense de la langue française adopta le ton d'une contestation de la situation établie et prit la forme du conflit linguistique. Il ne faut cependant pas croire, comme on l'a trop souvent fait, en une sorte de génération spontanée de la crise linguistique. En réalité, pour comprendre les événements des années soixante, il faut se reporter à la période d'incubation de la crise, au cours des années cinquante. Même si cette première période, ou cette pré-période, déborde le cadre de cet ouvrage, il faut brièvement rappeler quelques faits.
Sauvageau (Florian), "Quatre décennies de télévision: de la culture aux industries culturelles", in ouvrage sous la direction de Fernand Dumont, LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE APRÈS 30 ANS DE CHANGEMENTS, pp. 143 à 152, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, 358 pages.
"Dans de nombreux pays, la télévision est, depuis quelques années, soumise à rude épreuve. Les accusations s'accumulent, tout aussi dévastatrices les unes que les autres.
"En France, l'ancien ministre Françoise Giroud parle des "assistés mentaux" que sont les téléspectateurs, "sous hypnose visuelle", et l'essayiste Marc Paillet se demande en sous-titre de son pamphlet Télégâchis: "Doit-on tolérer plus longtemps ce racolage sur la voie audiovisuelle?" Le philosophe Michel Henry va plus loin: il voit dans la télévision la cause de la barbarie qui, selon lui, caractérise maintenant nos sociétés.
"Le rédacteur en chef du Monde diplomatique, Ignacio Ramonet, affirmait lors d'un forum tenu au printemps 1989 à l'Université Laval, qu'en Europe de l'Ouest, et surtout en France, "aujourd'hui les seuls grands débats sociaux sont ceux qui concernent la télévision. Ils traversent la société entière. C'est comme la guerre, comme les problèmes concernant la religion ou l'éducation, à d'autres époques".
"Aux États-Unis, il y a plus d'une décennie que la télévision est la cible de toutes les critiques, dont le célèbre Four Arguments for the Elimination of Television, de Jerry Mander, publié en 1978, représente sans doute la tendance la plus radicale. Plus récemment, Neil Postman la rendait aussi coupable de tous les maux; dans son livre Se distraire à en mourir, il accuse la télévision d'avoir dégradé les grands débats de société, en les transformant en spectacle et en divertissement.
"Bref, la télévision a le dos large. C'est elle qui a dénaturé la vie politique et qui fait qu'on ne débat plus des enjeux, mais des personnalités et de l'image des candidats. C'est aussi l'influence de la télévision qui a provoqué la "tabloïdisation" des journaux, l'information visuelle et en capsules. C'est enfin la télévision qui détruit la cohérence logique, la suite dans les idées et la faculté d'abstraction.
SIMARD (Jean-Jacques), "La culture québécoise: question de nous", in CAHIERS DE RECHERCHE SOCIOLOGIQUE, no 14, "Savoir sociologique et transformation sociale", printemps 1990, pages 131 à 142. Montréal: Département de sociologie, Université du Québec à Montréal.
"Né de la dissolution de la société canadienne-française, le Québec actuel n'a pas quarante ans et demeure à cette heure une hypothèse, "un projet à l'horizon d'un peuple", précisément. A moins qu'il ne faille renverser la formule: la Révolution tranquille ayant dépensé tant d'énergie à ériger des cadres juridiques et administratifs, on peut se demander si, maintenant, ce n'est pas le peuple québécois qui reste un projet à l'horizon d'un État. En ce sens, la crise de la culture québécoise tiendrait plus que jamais à une crise de la cité, à une "menace de dissolution". Tous les principaux enjeux culturels de demain pourraient bien alors se ramener au même: dans la partie en cours, ce qui est avant toute chose en jeu, ce n'est rien de moins que la "banque", le garant de tous les paris culturelsle nous québécois en personnes.
Un nous, mais à quelle sauce? Des institutions, mais de quelle obédience? Embrassant la société globale d'une époque, mais à quel point? Entre l'héritage et le projet, mais sur quel versant? Voilà ce qui fait la différence entre les cités prises une à une, comme entre les conceptions historiques de la cité ("société" fera pareil, du moment que ces nuances sont entendues). Au cours du demi-siècle qui s'achève, le Québec aura vécu deux crises autour de ces points d'interrogation-là: après la guerre et maintenant.