Le Devoir, Montréal, Mercredi, le 13 mars 2002, page A1.

Le dernier recensement de Statistique Canada confirmes les pires craintes: exode des jeunes et désintégration des régions.
Recensement :
Le Québec fait du surplace

Avec une population en hausse de 1,4%, la décroissance n'est pas loin


Josée Boileau

http://ledevoir.com/public/client-old/news-webview.jsp;jsessionid=1cbf%3A3c8ff3b1%3A68cd81b66e397080?newsid=8778

Le Québec n'arrive ni à retenir ses immigrants ni à faire assez d'enfants pour se renouveler. Le taux de croissance de sa population continue donc sa chute, n'ayant enregistré qu'une faible hausse de 1,4 % lors du recensement de 2001. Non seulement ce taux est sous la moyenne canadienne, qui est de 4 %, mais il s'agit du taux de croissance le plus faible depuis au moins 20 ans.

« Le Québec se rapproche dangereusement de la décroissance que vivent déjà certaines provinces canadiennes », disait hier la démographe Josée Martel, du bureau régional du Québec de Statistique Canada.

Le 15 mai 2001, jour du recensement, le Québec comptait 7 237 479 habitants, soit une augmentation de 98 684 personnes par rapport à cinq ans auparavant. Mais le Québec avait connu un accroissement de l'ordre de 3,5 % entre 1991 et 1996 et de 5,6 % entre 1986 et 1991. Avec une hausse de 1,4 %, le Québec se situe au cinquième rang des provinces canadiennes, et son poids démographique diminue encore, passant de 24,7 % en 1996 à 24,1 % en 2001.

Ces données, rendues publiques hier, sont tirées du premier d'une série de rapports de Statistique Canada sur le recensement de 2001. Elles portent strictement sur la croissance démographique. Des données plus précises (sur la langue, l'âge, le sexe, l'immigration, etc.) seront divulguées au cours des prochains mois.

On apprend ainsi que la population du Canada, qui atteint maintenant 30 millions de personnes, connaît une des croissances les plus faibles de son histoire, que la population de l'Alberta grimpe en flèche, suivie de celle de l'Ontario, et que les Maritimes sont en décroissance. Au Québec même, il y a déclin de la population dans six régions, et Montréal est en pleine croissance.

La situation québécoise est toutefois bien particulière au sein de l'ensemble canadien. Selon des données de Statistique Canada, 82 % de la croissance de la population au Québec est due à son taux d'accroissement naturel, c'est-à-dire au nombre de naissances.

«C'est énorme, dit Josée Martel. Cela signifie que sur les quelque 98 000 personnes de plus qu'on a eues au Québec entre les recensements de 1996 et 2001, environ 80 000 s'expliquent par la natalité et le reste par l'immigration. En Ontario, la natalité n'explique que 33 % de la croissance; en Alberta, c'est 37 %, et en Colombie-Britannique, 38 %.»

Ce n'est pas que le Québec n'accueille pas d'immigrants: Montréal reste une importante porte d'entrée au pays, après Toronto et Vancouver. Sauf que les immigrants ne restent pas: ils s'en vont ailleurs, aux États-Unis ou dans d'autres provinces. «Le Québec est déficitaire dans ses migrations avec les autres provinces. C'était le cas entre 1991 et 1996, ça l'est davantage pour le dernier recensement», note Mme Martel.

Et contrairement à ce qu'on voit dans les autres provinces, le déficit migratoire s'explique essentiellement par le départ des immigrants. «On se déplace beaucoup dans le reste du Canada, pour des raisons économiques», explique Louis Duchesne, démographe à l'Institut de la statistique du Québec. «Le moindre ralentissement ou boum économique se traduit immédiatement par un mouvement de population, comme on peut le voir en Alberta et en Colombie-Britannique. Mais les Québécois participent moins à ces mouvements à cause du facteur de la langue.»

L'effort important consenti ces dernières années par le Québec pour aller chercher des immigrants ne suffit donc pas à renverser la tendance. La natalité peut-elle compenser? Le défi semble carrément impensable tant le déclin des naissances est marqué depuis dix ans, disent les spécialistes. Surtout que le nombre de décès augmente, lentement mais sûrement, vu le vieillissement de la population.

Le taux de croissance naturelle (les naissances moins les décès) était de 8,6 naissances pour 1000 habitants en 1971; il n'est plus que de 4,1 pour 1000 en 1998 (contre 10,7 pour 1000 au Canada), indique ainsi la démographe Évelyne Lapierre-Adamcyk, de l'Université de Montréal.

«Le Québec a un des taux de natalité les plus faibles au Canada, dit-elle. Pour le moment, ç'a moins d'impact que dans les Maritimes, où on trouve de petites populations. Nous sommes quand même sept millions!» La décroissance est néanmoins prévue pour 2025, selon l'Institut de la statistique du Québec.

«Ce qui surprend, en fait, c'est la rapidité du phénomène», dit Simon Langlois, sociologue à l'Université Laval. «Dans les années 60 et 70, nous avons connu une forte hausse de la population; maintenant, nous assistons à une baisse tout aussi forte. En 1990, il y avait 95 000 naissances par année au Québec; aujourd'hui, il n'y en a que 72 000. Vingt mille naissances de moins en dix ans, c'est énorme! Il faut que le Québec se prépare à affronter une mutation démographique rapide.»

Pour Mme Lapierre-Adamcyk, «ce n'est pas la faible croissance en soi qui pose problème mais ce qu'elle révèle de notre dynamisme économique, par exemple, ou de notre capacité à attirer et à garder des gens ici».

Il y a en fait de quoi s'interroger sérieusement, insiste Jacques Beauchemin, professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal. «Ce qui m'étonne toujours, dit-il, c'est le décalage entre notre supposée joie de vivre et notre rapport au monde, finalement plutôt sombre. Avec le taux de natalité que nous avons et notre taux de suicide, c'est comme si la population ne sentait plus le besoin de se reproduire. Et les chiffres du recensement semblent confirmer un pessimisme ambiant.»

Le phénomène migratoire, lui, est tributaire du contexte politique, dit-il, et mérite tout autant réflexion. «Les immigrants veulent se joindre au rêve nord-américain, dit-il. Mais au Québec, on vit à moitié ce rêve parce qu'il y a une problématique à régler. Pour des nouveaux arrivants qui ont souvent fui des problèmes, ce n'est pas très tentant de rester! L'imaginaire immigrant ne serait pas le même si le statut du Québec était clair et si chacun savait ce qu'est le Québec dans l'espace nord-américain.»
Cliquer ici pour lire le texte de l'article de Mme Boileau
http://ledevoir.com/public/client-old/news-webview.jsp;jsessionid=1cbf%3A3c8ff3b1%3A68cd81b66e397080?newsid=8778
Pour télécharger le texte intégral de l'article de Mme Boileau
Le texte de l'article en format Word 2001: un fichier .doc de 2 pages de 108 K.

Le texte de l'article en format Acrobat Reader: un fichier .pdf de 2 pages de 84 K.


Retour à l'accueil
Sociologie Autres guides Plan du site Accueil Page d'accueil centrale
Dernière mise à jour de cette page le Dimanche 06 avril 2003 16:43
Par Jean-Marie Tremblay, sociologue